J’avais un peu mauvaise conscience en allant voir Une fille facile. Je me demandais si je me rendais à cette séance pour de bonnes raisons. S’il existe de « bonnes» raisons pour se rendre au cinéma.
Voici ce que je “savais” et ce que je voyais en regardant l’affiche : L’exposition de la plastique de Zahia Dehar « connue » pour avoir été une escort girl avant de devenir une styliste parrainée par Karl Lagerfeld il y a quelques années. Depuis, « plus rien », Walou ! Plus de nouvelles. Même pas un petit sms. Et puis, ce film qui la faisait revenir au grand jour comme on fait revenir un ingrédient dans un plat que l’on a fait mijoter avant de le servir.
La carrière de Zahia Dehar fait désormais penser aux carrières médiatiques d’une Loana (la pionnière) d’une Nabila « Non mais, allo quoi ! » ou de toute autre aspirante à la reconnaissance faciale (sociale) devenue célèbre du fait de sa plastique et de sa participation à une émission de téléréalité.
Mais si l’on ouvre un peu la focale de son indulgence cinématographique, l’allure de Zahia Dehar nous rapproche davantage des films d’un Russ Meyer que de celui d’un Lodge Kerrigan avec un film en particulier : Claire Dolan. Aucune parenté avec le cinéaste et acteur Xavier Dolan qui avait 9 ans lorsque Claire Dolan est sorti en 1998.
Sauf que ce titre, Une fille facile, signifiait bien quand même qu’il y’avait une anguille voire plusieurs anchois sous la peau. Pourtant, ce nouveau film de Rebecca Zlotowksi ne ressemblait pas à un film d’horreur.
Pour m’aider à mieux me situer moralement sur l’échelle du voyeur ou de l’a-mateur cinéphile, j’ai un moment compté sur le public présent dans la salle. J’ai assez vite changé d’instrument de mesure. Deux hommes. Puis, une femme à tendance anorexique est entrée. Son visage qui absorbait la nuit hypocalorique de la salle alors qu’elle montait les marches pour finir par s’asseoir plusieurs rangs derrière moi semblait vouloir ( me ) dire :
« Moi aussi, je ne suis pas une fille facile ! ».
Nous étions ainsi quatre ou cinq hommes et une femme farouche lorsque le film a commencé. La première image est celle d’une plage à l’eau translucide, une sorte de crique paradisiaque, où la silhouette de Zahia Dehar vient s’amarrer à notre regard à la brasse façon Russ Meyer, donc. Impossible de la rater. Mais cette tranquillité, ce soleil et cette propreté détrônent le monde de plus en plus pollué et bruyant qui est désormais le nôtre. De Russ Meyer, nous nageons alors dans le manga Porco Rosso de Miyazaki.
Assez vite, devant la peau et les courbes de Zahia/Sofia on peut penser à Brigitte Bardot en version laquée. Zahia Dehar est après tant d’autres et avant d’autres, l’héritière et l’inspiratrice de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui, au cinéma et ailleurs, sont des écrans à fantasmes. Pour résumer le synopsis : on les voit, on bande. Ou on se dit que l’on pourra seulement s’accoupler avec son poisson rouge ou, sur dérogation et en se mettant sur liste d’attente, peut-être avec un cochon d’Inde polygame.
A ceci près que dans Une fille facile, le personnage de Sofia, s’il provient peut-être de la vie réelle de Zahia Dehar, doit aussi à l’histoire représentée par l’actrice Leïla Bekhti (il est sûrement volontaire de la citer au début du film) dans le film Tout ce qui brille de Géraldine Nakache et Hervé Mimran (2009).
Je ne connais rien des origines sociales de Zahia Dehar dans la vraie vie mais j’ai appris depuis que BB était au départ la fille d’un « riche industriel». En plus d’être très belle, BB Bardot était donc plutôt d’un milieu très friqué lorsqu’elle a débarqué sur la planète du cinéma qui l’avait ensuite consacrée Déesse. L’histoire de Une fille facile, c’est celle de Naïma, 16 ans (l’actrice Mina Farid) qui vit à Cannes depuis sa naissance, au bord de la mer, et qui n’a jamais pris le bateau pour une promenade en mer tandis que sa mère fait des ménages dans un hôtel ou dans un restaurant plutôt de luxe.
Une fille facile, c’est d’abord l’histoire de sa cousine Sofia (Zahia Dehar), plus âgée, qui débarque lors des grandes vacances. On ne sait pas vraiment quel est son métier ni à quoi ressemble sa vie ordinairement. Mais c’est bien elle qui capte principalement notre attention lorsque l’on pose son œil sur l’affiche du film. Mettre cette histoire à Cannes, ville-écrin du festival de Cannes truffé de mondanités et fait de ce soleil du sud qui cache la misère et le racisme, c’est donner à ce film des racines sociales réalistes. En dépit du joli minois de Zahia Dehar, de la jeunesse du personnage de Naïma (l’actrice Mina Farid, donc), du beau temps, on est aussi un peu dans Ken Loach avec Une fille facile. L’horreur y est sociale et en sous-main. Parce-que Sofia et Naïma sont deux frondeuses qui, le temps d’un été, décident de provoquer les événements et d’entrer dans un royaume qui leur est généralement fermé :
Celui des nantis qui prospèrent, prennent du bon temps et qui piétinent sans retenue les grands piliers « Liberté, égalité, Fraternité » de la démocratie qui les abritent plus que la majorité qui trime pour une vie tout juste supportable.
Clotilde Courau est « délicieuse » dans le personnage de Calypso lorsqu’elle tente de s’en prendre à Sofia de toute sa morgue sociale ; comme un serpent le ferait avec une souris pour passer le temps ou un aspirateur avec un grain de poussière. Alors qu’elle est désormais Princesse de par son mariage dans la vie civile, on se demande ce qui dans son rôle de Calypso relève du biographique ou de l’imaginaire. Et se rappeler que dans La Môme, elle incarnait la mère, pauvre et artiste ratée, d’Edith Piaf, donne à son personnage de comtesse dans Une fille facile un côté encore plus piquant.
La réalisatrice Rebecca Zlotowski entremêle ainsi à plusieurs reprises le cinéma et la vraie vie et crée de ce fait un petit labyrinthe de vraisemblances. Dans cette frontière cloîtrée entre les très riches et les presque pauvres, Une fille facile peut aussi faire penser au film Les Apaches de Thierry de Peretti dont l’histoire se passe cette fois en Corse, « l’île de Beauté ».
Conte de fées pour adultes, Une fille facile est l’histoire d’une transmission entre Sofia, l’aînée, et sa jeune cousine, Naïma, alors que celle-ci va bientôt devenir femme. La mère de Naïma, toute en sacrifice devant l’ordre social malgré la très belle vue qu’elle a sur la mer et l’horizon depuis son balcon, et pleine d’espoir pour Naïma, ne peut pas transmettre ce Savoir.
A la fin de Une fille facile , on ressent pour Sofia une certaine affection à voir comment elle a armé sa jeune cousine pour la vie. Ainsi que ce que cela lui coûte d’avoir des rêves et d’oser les provoquer.