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La série Warrior : L’Or du commun

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ZEZ
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C.E.O HELL SINKY, author, journalist, documentary

Lorsque tu apparais dans la lucarne en provenance de nulle part, l’endroit est myope et sourd.  Personne ne t’attend. Personne ne te connaît. Ta tête est un ballon. Et il y a plein d’autres ballons autour de toi qui viennent aussi de débarquer.

Question études, tu as peut-être été plus ou moins bon. Tu as sûrement des capacités que tu ignores dans un domaine ou un autre. Parfois, tu es même le seul à t’en rappeler. 

Tu as aussi raté quelques cours. Quelques fois, plusieurs dans un même jour. Mais on ne va pas en faire une jaunisse. Tu as surtout manqué de concentration en classe et à la maison au moment de faire tes devoirs. Sauf pour te bagarrer. Pour ça, aucun problème de concentration. Tu faisais plutôt partie des premiers à te présenter. Et puis, le temps est passé. 

Qu’il n’y’ait aucun malentendu, Ah Sahm : Tu as appris à lire et écrire. Tu sais compter. Tu sais faire d’autres choses. Tu pourrais en apprendre plein d’autres. 

Mais tu n’as pas la bonne peau, le bon prénom, le bon accent, le bon sexe, le bon voisinage, la bonne famille, la bonne taille, le bon poids, la bonne blague. Le bon timing.  Et tu comprends vite – car tu es vif et intelligent-  qu’il y a plein de gens comme toi ;  que la vie est un marché sur lequel il faut savoir se démarquer et où le temps (une bonne occasion) ne passe à peu près qu’une seule fois. 

Tu as ta fierté mais on te fait assez rapidement comprendre que ce que tu penses ou ressens ne fait pas partie de la discussion. On ne demande pas à un article disponible à la vente ce qu’il pense ou ressent. Et puis, tu es bien gentil mais on a déjà quelqu’un pour penser et planifier. Quelqu’un de formé, qui a fait ses preuves et qui aura toujours quelque chose de plus que toi :

 Le niveau d’études, le rang social, la nationalité, la peau, encore la peau, Ah Sahm.  

Quelqu’un dont le travail -et l’accent- est de prévoir l’arrivée de gens comme toi et de les gérer. De faire le tri. 

Tout cela, tu l’as bien intégré. Lorsque nous commençons à faire ta connaissance, Ah Sahm, cela fait déjà sûrement un moment que tu as l’impression que tu es un raté, que tu as raté quelque chose et que tu as quelque chose à racheter. Pour cela, tu es prêt à prendre à peu près tous les risques. Naïvement, tu crois encore que tu peux sauver la mise.

Mais comme, de toute façon, on ne t’emploiera pas pour ton intelligence, ton humour ou ton allure, tu laisses les grandes idées aux autres pour accepter un emploi qui consiste à se bagarrer. Ça te convient parce-que tu veux te battre. Tu es triste et en colère et, pour cela, ton corps est à ta disposition. Tu pourrais le mutiler, le court-circuiter par la défonce. Ce n’est pas ton genre. Ton genre, c’est d’atteindre d’autres corps dont les forces et l’allure ne te reviennent pas parce-que leurs murmures se ressemblent :

Chaque jour, n’importe lequel de ces corps que tu croises peut vouloir te voler quelque chose. Alors, tu les corriges comme de la mauvaise graisse. 

La justice du pauvre, c’est celle du corps. C’est avec son corps que le pauvre démontre ce qu’il vaut et ce qu’il ne vaut pas. Tu es plutôt pauvre, Ah Sahm.  Mais après avoir tourné en rond et t’être beaucoup entraîné, tu as développé des capacités  pugilistiques particulières. Ton corps, désormais, tranche avec ton passé où tu te faisais souvent dominer. Parce-que tu étais vulnérable. Pas assez malin. Trop impulsif. Il y avait toujours quelqu’un pour venir te cogner et te ridiculiser. Tu essayais de résister mais tu ne faisais pas le poids.

Je l’écris pour toi car, toi, tu vis dans l’instant présent. Tu dois être en train de fumer une cigarette ou de passer du temps avec tes potes. Mais, demain, maintenant, pour toi, ça ne change rien. La seule chose qui tangue pour toi, c’est qu’on t’a pris ton passé. Pourtant, si tu avais été une femme, selon le pays et l’époque, tu aurais peut-être dû te prostituer pour te défendre. En argot, lorsque l’on dit d’une femme qu’elle « se défend pour quelqu’un », ça veut dire «  qu’elle se prostitue pour quelqu’un ». ça n’est pas un jugement. Je ne tiens pas particulièrement à ce que tu viennes me casser la tronche. Mais pense-y : 

Lorsque l’on se défend pour quelqu’un, le tout est de savoir pour quoi et pour qui l’on se prostitue. Comment il nous protège. De qui.  Et de quoi. Regarde ta sœur, Mai Ling ! Il faut être un Fong Hai, descendant de Genghis Khan, pour oser insinuer qu’elle a moins d’importance qu’une pute et la défier.

Regarde ton amie et alliée Ah Toy, qui tient un bordel. Personne n’oserait dire qu’elle est incapable de se protéger et de se défendre.

Regarde aussi Pénélope Blake, la femme du maire, celle dont tu deviens l’amant. 

Par ailleurs, Ah Sahm,  à notre époque, certaines femmes deviennent de redoutables combattantes pour éviter d’avoir à se prostituer afin de gagner leur vie et aussi pour faire vivre leur famille. On peut préférer être sur un ring, en sueurs, prendre des coups plein la figure, et en donner, plutôt que d’attendre avec un string sur le bitume ou dans une camionnette que n’importe qui, à n’importe quelle heure, puisse venir se permettre de nous mettre des coups qu’il nous sera interdit de lui rendre au prétexte que le client est roi et que notre fierté doit trainer sa croix. 

On peut aussi avoir un métier tout ce qu’il y a plus de légal, rémunéré et honorable, et avoir l’impression d’avoir un statut de pute ou de faire un travail de pute. Où, là aussi, on se doit de trainer sa croix et de faire ce que l’on nous demande. De s’exécuter. 

On n’a pas beaucoup le choix si l’on veut échapper à une sanction disciplinaire, au chômage, à la pauvreté, rembourser une dette, essayer de nourrir sa famille. Parce que l’on sait aussi que si l’on refuse, il y en a beaucoup d’autres qui accepteront ce que l’on refuse. Et qu’au dessus de nous, existe un Pouvoir bureaucratique tout puissant qui s’y connaît en méthodes fantômes afin de nous faire payer notre comportement d’indiscipline ou de « révolte ». 

Pourtant, malgré certaines concessions ou compromissions, ça ne suffit pas toujours pour rester dans la partie. Pour être reconnu ou récompensé comme on l’aurait voulu.

La série Warrior est faite de ça. De l’or commun de ces gens qui ont quitté leur pays ou leur région pour aller vivre aux Etats-Unis du côté de San Francisco à la fin du 19ème siècle afin d’essayer d’éclaircir leur existence. On peut avoir trouvé très crue et racoleuse ma façon d’entrer dans le sujet. Ou caricaturale. Et ce sera sûrement vrai qu’il y a de la crudité, du racolage et de la caricature dans cet article. A-t’on déjà vu par exemple de la prostitution, sous n’importe quelle forme que ce soit, sans racolage ?

On apercevra pourtant dans le début de cet article une continuité avec ce que j’ai écrit dans https://urbantrackz.fr/kronik/cites-numeriques-1981-2020-laboratoires-didentites/

Entre les Canibouts, Nanterre, d’autres endroits en France, à San Francisco, ou ailleurs sur Terre,  je n’y peux pas grand chose si l’Histoire se répète. Je peux juste essayer de la raconter autrement comme elle nous arrive, de générations en générations,  en m’appliquant à faire en sorte qu’elle soit assez attrayante et aussi contemporaine que possible afin que le lecteur comprenne bien que ce qui s’est passé ailleurs et hier peut aussi se passer ici et aujourd’hui. Quelle que soit la fiction. Et c’est un peu ce qui se passe avec la série Warrior

L’acteur Andrew Koji, dans le rôle d’Ah Sahm.

Le héros, Ah Sahm (l’acteur Andrew Koji, d’origine britannico-japonaise dans la vraie vie) débarque donc aux Etats-Unis, en provenance de Chine. 

Si « Le » héros de Warrior est d’origine chinoise, c’est parce-que la série est inspirée des écrits de Bruce Lee. Et en partie de sa vie lorsque, débarquant aux Etats-Unis, avec des rêves de grandeur, il a connu le racisme en particulier. Bruce Lee, cette vedette internationale décédée en 1973 dont le souvenir reste impliqué dans bien des œuvres cinématographiques  a en effet connu le racisme aux Etats-Unis- y compris dans le milieu du cinéma. Ce qui a pu contrarier son trajet jusqu’à la célébrité. Mais depuis sa mort, on retient son charisme, parfois ses pensées et, bien-sûr, principalement certaines de ses attitudes martiales ou de ses tenues vestimentaires :

Que ce soit dans Kill Bill ou Once upon a time in Hollywood de Tarantino, Matrix des ex-frères Wachowski. On dira que deux de ces films datent maintenant. Mais ce serait oublier que des vedettes comme Jacky Chan et Jet Li, aussi bons soient-ils (et ils sont particulièrement bons) n’ont pu le faire oublier. Et que même après plusieurs Expendables ( avec Jet Li entre autres mais aussi avec Chuck Norris, covedette de La Fureur du dragon avec Bruce Lee) ou des films comme The Raid I  et II réalisés par Gareth Evans, dont les combats sont particulièrement réussis, la  marque  de Bruce Lee se maintient. On la trouve chez certains héritiers martiaux : Van Damme et Steven Seagal à une époque en occident, Jason Statham peut-être un peu aujourd’hui. 

On avait pu l’espérer en Mark Dacascos  après Crying Freeman et Le Pacte des Loups de Christopher Gans. Mark Dacascos que l’on a eu plaisir à retrouver avec deux vedettes de The Raid dans le John Wick 3 : Parabellum ( https://urbantrackz.fr/videotape/cinema/john-wick-parabellum-50-pour-cent-de-chances-de-se-tirer/ ) avec Keanu Reeves, converti depuis au Ju-Jitsu brésilien et qui « faisait » du Bruce Lee dans….Matrix. 

Même le réalisateur Wong Kar-Wai fait une allusion à Bruce Lee à la fin de son film Grandmaster (2013). 

D’ailleurs, parler de Ju-Jitsu brésilien aujourd’hui, revient à un moment ou à un autre à parler de MMA ne serait-ce que du fait, en grande partie au départ, des frères Gracie. 

Le MMA a pour but d’être une sorte de « compilation » du meilleur de chaque discipline de combat, arts martiaux inclus. 

Hé bien, on peut sans doute dire que Bruce Lee a sûrement contribué d’une façon ou d’une autre à l’émergence et à l’évolution du MMA dans sa recherche d’efficacité. Une scène, parmi d’autres, montre très bien l’exigence constante d’efficacité de Bruce Lee dans Opération Dragon (dernier film de son vivant) :  Alors que l’on voit des disciples de Han exécuter mécaniquement des katas, Bruce Lee, les regarde de loin avec un air de dédain. Plus tôt, au début du film, on l’a vu, en cours particulier, sermonner son jeune élève qui s’est mis à « penser » au lieu de « ressentir », à confondre « la colère » avec «  une parfaite tension émotionnelle ».  

De la même manière que beaucoup d’apnéistes de haut niveau sont  encore capables aujourd’hui de citer le film Le Grand Bleu de Luc Besson parmi certaines de leurs références cinématographiques (tout en soulignant ses défauts concernant la pratique de l’apnée), Bruce Lee reste une des références pour beaucoup d’adeptes de sports de combats et d’Arts martiaux.

Question MMA, j’invite à voir ou revoir le film Piégée de Steven Soderbergh avec Gina Carano, ancienne championne de MMA. 

Gina Carano dans Piégée ( Haywire) face à Michael Fassbender/ “Magnéto”.

Cela dit, il y a bien-sûr eu et il y a bien sûr bien d’autres Maitres des Arts martiaux que ce soit en Chine ou ailleurs. Les adeptes du Kendo citeront le Japonais Miyamoto Musashi dont la vie – très romancée- est racontée par Eiji Yoshikawa dans La Pierre et le Sabre et dans sa suite, La Parfaite Lumière. 

Et je ne sais même pas, d’ailleurs, si l’on peut dire de Bruce Lee qu’il était un Maitre absolu :

Un très grand artiste martial, oui. Un Professeur pour celles et ceux à qui il a enseigné, oui. Dont les acteurs américains  Steve Mac Queen et James Coburn.  Mais un Maitre ? Je ne sais pas. En Occident, oui.  

Mais en Asie ?  Même s’il a écrit. Je crois que ce doute existait déjà de son vivant en Asie. C’est uniquement pour cette raison que je le retranscris ici. Car je n’ai aucune compétence ou autorité personnelle pour répondre à cette question. Je me dis seulement  qu’un Maitre est synonyme de longévité et de sagesse. Or, Bruce Lee est mort à 33 ans et c’était aussi une vedette de cinéma. Il aspirait à cette célébrité. Ce qui dénote un peu pour un Maitre :

Soit on fait le show à Hollywood, soit on est un Maitre qui s’attèle à une certaine discipline qui consiste en particulier à contrôler son ego. Alors qu’on dirait que Bruce Lee a balancé entre les deux. Et c’est exactement ce qui se passe pour Ah Sahm dans Warrior.

Ah Sahm (l’acteur Andrew Koji) est sensiblement prétentieux dès le début de la série. Etre bagarreur est une chose. Etre prétentieux en est une autre. On est avec Ah Sahm lorsqu’il refuse le mépris d’un représentant de l’ordre américain raciste à son arrivée aux Etats-Unis. On est plus critique à son égard lorsqu’il en rajoute dans la démonstration dans ses combats, ajoutant provocation  et suffisance. 

Même si ce trait est un peu atténué chez Ah Sahm, Bruce Lee était originaire d’un milieu social plutôt aisé en Chine. Mais cette aisance sociale a été en partie transférée au personnage d’Ah Sahm dans le fait que contrairement à la majorité des Chinois qui débarquent en Amérique, Ah Sahm, lui, comprend et parle très bien Anglais. Ce qui lui donne un avantage supplémentaire certain, en plus de son expertise en art martial, sur ses compatriotes mais aussi sur les Américains qui regardent les Chinois de haut. 

Et puis, le très haut niveau de pratique d’art martial d’Ah Sahm est un peu insuffisant pour expliquer le fait qu’il arrive presque en terrain conquis – même s’il lui arrive des déboires- dès le début de Warrior. On peut être quelqu’un de très sur de soi même en pays inconnu. Mais je me dis aussi que si l’on a toujours vécu à l’abri ou si l’on a toujours été protégé par quelqu’un depuis son enfance, que l’on peut se sentir comme Ah Sahm dès le début de Warrior : un peu tout puissant et très chien fou. Même s’il se fait acheter par les Hop Wei comme homme de main en raison de ses très bonnes aptitudes au combat.

Voici pour la présentation d’Ah Sahm. Il y a heureusement d’autres personnages dans Warrior qui donnent envie dont certains que j’ai déjà cités : 

Jun Père, Mai Ling, Ah Toy, Buckley, Leary , Bill, Les Fong Hai, Pénélope Clarke…..

La série a des défauts. Je l’ai d’abord trouvée moyenne. Tant pour quelques tics- ou hommages- à la Bruce Lee. Que pour le fait que, par moments, la série Warrior donne l’impression d’essayer de faire aussi bien que Gangs of New York de Scorsese. 

Mais, heureusement, son analyse sociale et culturelle s’élargit. On passe des Irlandais, aux Chinois en passant par le gars du Sud des Etats-Unis. La série a d’évidentes ambitions féministes.

Dans le 5ème épisode, sorte de mini-western, on a même une histoire d’amour avec une Amérindienne ( alors que les Amérindiens restent parmi les grands disparus de l’industrie cinématographique américaine)  et l’on voit même un des personnages de la série venir à « l’aide » de deux hommes noirs qui se sont risqués à venir prendre un verre dans un bar où on ne veut pas d’eux.

Au passage, on reçoit quelques enseignements martiaux : On apprend par exemple que pour gagner un combat, il faut avoir une cause à défendre. 

Et puis, on voit que l’Amérique, celle des Etats-Unis, Première Puissance Mondiale actuelle, s’est construite sur le racisme, en prenant le meilleur de chaque communauté. 

A ce racisme intérieur, Warrior essaie aussi de s’attaquer. 

Je n’ai vu que la première saison. La deuxième saison est apparemment en cours de réalisation. 

Pour conclure, Warrior a été crééé et produite par Jonathan Tropper,  co-créateur et producteur, entre-autres, de la série Banshee.

Justin Lin, réalisateur de Fast & Furious 6,  est un des réalisateurs de la série.  

Shannon Lee, la fille de Bruce Lee, est une des productrices de la série.

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