Prisonniers de notre idéal de perfection, nous nous transformons quelques fois en ces araignées létales qui, patiemment et fidèlement, tissent ces toiles où les pales de nos choix et de nos pas nous déposeront un jour avec précision. Et, soudainement pris au dépourvu devant cette soudaine impasse mystérieusement surgie de nulle part, nous nous interrogerons peut-être sur les erreurs de jugement que nous avons pu faire – alors que nous étions aussi « libres » que l’argile- et que le bonheur était encore à portée de voix.
El Club, film réalisé par Pablo Larrain, n’a aucun lien de parenté avec le film Fight Club. De même que le film Fight Club n’avait bien sûr aucun rapport avec le Club Med.
El Club n’a aussi aucun lien non plus avec un club branché où l’on se déhanche en bonne compagnie au son d’une musique choisie. Le kick d’un titre et le kif promis dans les moiteurs d’une boite de nuit se sont ici fait refouler non seulement dès l’entrée mais aussi à l’intérieur de la salle par le Dj qui officie. Ici, le critère pour faire partie du club n’a rien à voir avec le faciès, le volume du fessier (inutile de pousser le son !) l’âge, le sexe ou la condition sportive, médicale, politique, sociale et économique.
El Club aurait pu s’appeler La Vase mais disons que cela aurait peut-être été un zeste moins vendeur. Et le côté « caliente » et ensoleillé suggérés par le pronom hispanique « El » est ici un mirage dévoré depuis longtemps par une élite qui a échoué.
Pour écrire cet article, j’avais prévu de revoir ce film ce matin. Je l’avais revu pour la troisième ou quatrième fois il y a quelques mois maintenant. Et puis, en regardant tout à l’heure la jaquette du dvd, je me suis aperçu que tout de ce film – en laissant mon regard se faire soutenir par ma mémoire- est dedans. Donc, pourquoi le revoir finalement pour vous en parler ?
El Club est la description d’une Humanité en rade. A genoux. C’est le récit d’une Humanité en déréliction. Ses « soldats » de Foi, membres d’intervention d’une certaine élite de l’église catholique, se sont attachés aux trachées de la perdition au lieu de contribuer à les boucher. Devant les râles du péché, ces prêtres ont capitulé ou ont peut-être accepté ce que, viscéralement, ils avaient toujours secrété. Et recherché. Et leur statut de femme et d’hommes de Religion leur a donné une sorte d’immunité diplomatique les plaçant au dessus des Lois morales- comme de toute autocritique- qui s’appliquent en principe à un moment ou à un autre à tout ressortissant de l’Humanité.
Dans El Club, donc, l’Humanité reste à gué. Le Paradis est peut-être tout proche de l’autre côté de la rive. A quelques mètres. Mais celle et ceux censés être parmi ses plus sûrs éclaireurs, cette sœur religieuse et ces prêtres, sont devenus des spectres qui défendent d’autres causes.
On les a mis dans un placard dans un endroit assez retiré du monde en état de liberté semi-conditionnelle pour une durée apparemment indéterminée.
L’idée du clergé était sans doute qu’en les mettant à l’écart, cette sœur et ces prêtres moralement « radioactifs » nuisent le moins possible à leur environnement et à leur entourage. Et qu’ils pourraient, peut-être, à leur rythme très lent, découpé du temps, se décontaminer et se délacer de leurs « obscurités » intérieures. Mais on comprend vite que la petite routine acquise par ces « brebis galeuses » de la prêtrise pourrait durer pour l’éternité. Cette vie monochrome (très beau travail de photographie !) monotone et monophonique les comble.
De loin, ces « condamnés » peuvent passer pour des retraités un peu particuliers qui ont peut-être un peu intrigué les voisins à leur arrivée et qui, maintenant, font partie du décor. Par analogie, puisque l’histoire se passe au Chili, on peut se demander si le réalisateur Pablo Larrain fait ici un – petit- clin d’œil détourné au fait qu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, certains officiers nazis tels Joseph Mengele, souvent sous une fausse identité, avaient pu- provisoirement ou durablement- se soustraire à la Justice des tribunaux en trouvant refuge en Amérique du sud.
Dans El Club, pas de confrontation non plus à la Justice des tribunaux. Mais un événement, au moins, a priori imprévisible et persistant, va perturber ce bel ensemble et jeter un « sacré » coup de projecteur sur cette paisible communauté de retraités un peu particuliers. Et ce qui va ressortir du tableau de cette belle harmonie apparente va se révéler plus « sale » que ce que nos premiers regards posés sur cette toile pouvaient nous laisser supposer.
El Club est un film ascétique dans le sens où il se dispense d’aller dans la surenchère. Le spectateur ne pourra donc pas exactement se raccrocher à ses scènes spectaculaires pour dédramatiser ces « confessions » d’âmes qu’il captera. D’autant que les acteurs sont vraiment « bons ». Ce qui contrebalance bien la perversion – réaliste- de leurs personnages. On « jouit » donc vraiment de ces interprétations d’acteurs.
Mais selon notre capacité individuelle à se rappeler que l’on reste là devant un film, El Club, réalisé en 2015, peut mettre très très mal à l’aise. Pour certaines et certains, ce sera un film « glauque » de plus. Pour moi, c’est une mine d’or : C’est un film au regard ouvert sur les dérives possibles d’une élite religieuse ou autre. Et sur la nécessité (afin de se préserver un tant soit peu de ces dérives lorsqu’il y’en a) d’acquérir et de maintenir aussi, autant que possible, sa propre conscience individuelle et éduquée.