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Raï, rap et musique urbaine : un métissage culturel entre la France, le Maghreb et l’Afrique

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L’heure approche ! Le concert de Raï’n’B Fever affiche complet. Le producteur, à l’origine de cette célébration de la musique occidentale et maghrébine qui dure depuis 20 ans, vient de l’annoncer sur ses réseaux sociaux. Au début des années 2000, avec le concert mythique de “1,2,3 Soleil”, porté par les icônes Khaled, Faudel et Rachid Taha, le Raï avait encore le vent en poupe en France.

Aujourd’hui, face à la domination de la musique urbaine — terme souvent critiqué pour désigner de manière inexacte tout ce qui vient des quartiers populaires —, les artistes de Raï peinent à retrouver leur lustre d’antan. Cependant, la musique orientale irrigue désormais largement le rap et la musique urbaine. Dès le début des années 2000, le fameux “Leï leï la” de Sinik dans “Bienvenue chez les Bilkas”, avec un sample emprunté à “Thé à la menthe” de La Caution, annonçait déjà l’avènement des années 2020, où les artistes de “musique urbaine” deviennent des ambassadeurs majeurs de la musique orientale.

La guerre pour les streams africains !

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle l’Afrique serait un continent en retard technologiquement, la révolution numérique s’y est faite sans passer par l’ordinateur. Les populations sont passées directement au smartphone. Cette adoption massive des nouvelles technologies a fait du continent un marché stratégique, où les campagnes publicitaires se révèlent souvent bien plus rentables qu’en Europe. Capitaliser les streams africains est devenu un enjeu central pour l’industrie musicale mondiale.

De nombreux grands producteurs français, tels que Jean-Pierre Seck, Passi ou encore Bob Djani, tournent également leur attention vers l’Afrique, où les opportunités économiques dans le secteur musical explosent.

Auditeurs de musique urbaine sont des deux côtés de la méditerrannée

Les auditeurs de rap français se trouvent aujourd’hui des deux côtés de la Méditerranée. Cela se reflète dans les showcases qui attirent des foules impressionnantes à Casablanca, au Maroc, en Algérie ou en Tunisie. Les artistes français de rap jouissent désormais d’une popularité qui s’étend à toute la francophonie, à la différence de leurs homologues de la variété française d’autrefois. Ces derniers, bien que connus à l’international, s’inscrivaient davantage dans une synergie musicale avec le Canada et la Belgique.

En effet, des artistes comme Céline Dion, Garou ou encore France Gall, qui étaient souvent originaires de ces pays, témoignaient de ces échanges culturels privilégiés. Aujourd’hui, avec le rap français, cette dynamique se déplace plutôt vers le Maghreb. Des artistes comme ElGrandeToto incarnent parfaitement ce phénomène, avec une audience équilibrée entre le Maghreb et la France.

Les collaborations entre le rap français et le rap maghrébin se multiplient, à l’image d’ElGrandeToto, qui a travaillé avec de nombreux artistes européens, notamment français. Rim’K, par exemple, s’inscrit également dans cette logique, comme en témoigne sa collaboration avec Sofiane Pamart et Tif sur le titre “Tant pis”, célébrant l’Algérie.

Le Canada, autrefois un partenaire privilégié dans la musique francophone, reste moins présent dans la scène rap actuelle. Quelques rappeurs canadiens, comme Roi Heenok, sont connus en France, mais leur nombre reste limité par rapport à l’ampleur des échanges entre le rap français et maghrébin.

Ce mouvement témoigne donc d’une redéfinition des connexions culturelles et musicales francophones, avec une place centrale occupée par le Maghreb dans la scène rap contemporaine. Cette évolution reflète une diversité accrue des échanges musicaux et un ancrage toujours plus fort du rap comme vecteur de lien culturel entre les deux rives de la Méditerranée.

Les publics francophones, qu’ils soient en Europe, en Afrique du Nord ou ailleurs, se retrouvent autour d’une musique qui dépasse les frontières et qui fédère des communautés issues de différents horizons. Ce brassage culturel contribue non seulement à enrichir les productions artistiques, mais aussi à offrir une vision plus inclusive et globale de la francophonie dans le paysage musical actuel.

La porosité culturelle entre la France et les pays du Maghreb

Cette porosité culturelle s’exprime de manière directe et indirecte, à travers des projets emblématiques, des influences musicales variées et des réinterprétations de genres musicaux.

1. Les projets emblématiques : l’exemple de Raï’n’B Fever

L’un des projets les plus représentatifs de cette porosité culturelle est Raï’n’B Fever, initié au début des années 2000 par le producteur DJ Kore. Ce projet visait à fusionner la culture urbaine française avec les sonorités raï, créant ainsi un métissage unique entre le R&B, le rap et le raï.

Des titres marquants sont issus de ce projet, tels que :

  • “Un Gaou à Oran”113, Magic System & Mohamed Lamine
  • “Sobri (Notre Destin)”Leslie & Amine
  • “Just Married”Relic & Amine

2. Les influences indirectes dans des mouvements contemporains

La porosité culturelle se manifeste également de manière indirecte, notamment dans des mouvements comme la Drill, un genre musical originaire de Chicago, qui s’est propagé à New York, Londres, puis Paris.

En France, des artistes tels que Ziak intègrent dans leurs productions des sonorités d’instruments arabes, comme le ney (flûte orientale) ou la derbuka (percussion traditionnelle). Ces éléments apportent une touche orientale à la Drill française, reflétant l’influence des cultures maghrébines sur la scène urbaine hexagonale.

3. La réappropriation des codes du Raï et des influences orientales

Un autre aspect de cette porosité est la réappropriation des codes du Raï et des sonorités orientales par des artistes issus du rap, du R&B ou de la pop.

Par exemple, l’artiste Lartiste (Youssef Akdim), d’origine marocaine, intègre fréquemment des sonorités orientales dans ses morceaux, créant un pont entre les musiques urbaines et les influences maghrébines.

De même, l’artiste Nej’ propose des projets aux fortes connotations orientales, reprenant des codes des artistes maghrébins des années 80 et 90, tout en incorporant des influences de la musique indienne de Bollywood.

Nej’ et Lartiste ont quelque part pris la place des artistes de Raï des deux côtés de la méditerrannée.

Conclusion

La porosité culturelle entre la France et les pays du Maghreb témoigne d’un enrichissement mutuel et d’une hybridation constante des genres musicaux. Des projets emblématiques comme Raï’n’B Fever, des influences subtiles dans des mouvements contemporains comme la Drill, ou la réappropriation des codes du Raï par des artistes actuels illustrent cette dynamique. Ce métissage musical reflète une scène en perpétuelle évolution, où les échanges culturels entre les deux rives de la Méditerranée occupent une place centrale.

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