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Caroline Polachek fête la Saint Valentin avec “Desire, I want to turn into you : Everasking Edition”

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Il y a quelques années, Caroline Polachek se lance en solo après avoir officié au sein du groupe “Chairlift“. Lorsqu’elle évoque son passage en tant que chanteuse solo au magazine “Pitchfork“, elle explique qu’elle doutait beaucoup d’elle-même :

Oui, effectivement : je pouvais l’imaginer, mais je ne pouvais pas imaginer que cela se produise réellement. Beaucoup dépendait de l’inconnu, de prendre un gros risque. J’avais déjà la trentaine bien entamée. Je n’avais pas de modèles à suivre. Je regardais autour de moi et je ne trouvais aucun exemple de femme de mon âge qui avait réussi à se lancer dans une carrière solo après avoir quitté un groupe, surtout un groupe qui n’avait pas réussi à atteindre un certain statut mainstream. C’était une demande importante. Même les femmes qui avaient réussi à commencer une carrière à mon âge, je pense que Debbie Harry et M.I.A. étaient un peu les seules dans ce domaine.

Caroline Polachek : artiste contre entrepreneur !

La montée en puissance des réseaux sociaux et la généralisation d’internet ont eu un triple impact sur la production musicale. Tout d’abord, les artistes n’ont pas forcément besoin de passer par une major pour se faire entendre grâce à l’effet du buzz. La plupart des maisons de disques aujourd’hui se contentent d’avaliser les choix du public en signant des artistes. Elles ne misent plus sur des artistes en devenir, mais incorporent des artistes dont le développement artistique est déjà bien entamé, voire complètement terminé, et les adaptent aux diktats industriels.

De plus, la faille paradigmatique du système musical veut que le public s’attache souvent à des singles plutôt qu’à des projets. La structure du streaming et de YouTube privilégie les singles. Ainsi, beaucoup d’artistes se contentent de créer des projets assez généralistes qui se résolvent dans une suite de singles, ou plutôt une série de hits “voulus“. Selon la chanteuse :

“Cela me semble assez surréaliste d’avoir cette étrange barrière invisible dans ma carrière, où certaines personnes ont trouvé leur chemin à travers elle jusqu’au catalogue. Et d’autres non. En réalité, je n’ai aucun programme particulier. C’est plutôt cool que je puisse être à la fois une nouvelle artiste et une artiste de carrière en même temps.”

“L’un des défis intéressants pour moi est de créer des couches. La plupart des gens ne vont pas au-delà de la première couche, mais je veux la rendre aussi riche que possible pour ceux qui sont prêts à aller jusqu’au bout avec moi. Le mystère est l’une des forces les plus captivantes, mais les médias sociaux ont créé ce désir de former une opinion aussi rapidement que possible. Et malheureusement, nous nous sommes programmés à ne vouloir nous engager avec quelque chose que pendant le temps qu’il faut pour formuler une pensée cool. Quand il devient très clair qu’un artiste ou un travail a quelque chose qui est suggéré mais que nous ne comprenons pas encore, c’est une façon vraiment importante de résister au processus rapide d’indexation.”

Enfin, les revenus du streaming et de la vente sont si faibles que la plupart des artistes embrassent une carrière d’influenceurs. Ils gagnent beaucoup plus d’argent avec les “concerts” ou “showcases” qu’avec leurs ventes. Ils génèrent encore plus d’argent avec les placements commerciaux et leur carrière d’influenceurs. Ainsi, par une logique qui n’est pas propre à la musique, l’art s’est industrialisé, devenant le haut lieu du divertissement, parfois au détriment de l’authenticité. Est-ce que l’art véritable doit se libérer des contraintes économiques ? Oui, sans doute. Mais personne ne vit de pain et d’eau fraîche, ainsi les artistes sont devenus des entrepreneurs, et l’art prend la direction du divertissement, devenant un marché parmi tant d’autres.

Caroline Polachek, productrice elle-même, interprète et parolière, se distingue du système en place. Le projet “Desire, I want to turn into you“, qui vient d’être réédité avec quelques titres inédits, est une plongée dans l’univers de Caroline Polachek. Ce n’est pas un hasard si le projet débute avec le titre “Welcome to my Island“. Ainsi, si l’opus comporte quelques hits comme “Bunny is a rider“, ils sont loin de refléter la richesse absolue de ce projet, qui instaure une atmosphère exceptionnelle entre quelques titres vaporeux, des arpèges de guitare, et surtout Caroline Polachek dans tous ses états. Loin de la figure de l’entrepreneur, elle reste sur son île comme une réminiscence du passé, d’un passé lointain où on écoutait de la musique et on ne la consommait pas.

Désir, I want to turn into you : Everasking Edition” : le sacre ?

Il est vrai que Caroline Polachek est vraisemblablement touchée par le phénomène XXXTentacion. À la mort du rappeur, torturé et subversif, les auditeurs du monde entier l’ont découvert, et certains, pour la première fois, avec “?” sur le titre “Moonlight“. Ce titre est loin de refléter la réalité de “?”, qui comporte même des titres rock’n’roll. Avec “Bunny is a rider“, Caroline Polachek a accédé à la postérité. Mais combien d’auditeurs de “Bunny is a rider” se sont penchés sur l’album et ont récupéré l’essence de Caroline Polachek.

L’artiste annonce son retour avec le titre “Butterfly” en featuring avec Weyes Blood. Installée à la composition de ses morceaux depuis le début, elle continue sur sa lancée en s’attachant les services de Danny L. Harle sur ce titre. Elle avait interprété ce titre en live chez “KEXP” il y a 8 mois en solo.

Sensible aux nouvelles tendances cependant, l’artiste mise sur une totale adéquation entre ses titres et le visuel. Beaucoup d’artistes en France, comme SCH, Shay ou Swing, ont compris l’importance du clip à l’heure où YouTube continue de faire sa loi sur les plateformes de distribution de musique. À ce titre, au sein du crew Caroline Polachek, c’est la seule à être en avant-garde. Le but n’est pas de miser sur une vision baroque avec une multiplication des effets, mais de créer un lien véritable entre le visuel et la musique.

Eh bien, quand vous êtes dans un groupe, tout le monde doit être à bord si vous voulez réellement faire un geste significatif. Et dans le cas de Chairlift, les garçons n’étaient pas partants. Ils voulaient juste porter leurs t-shirts et leurs jeans, et je me sentais toujours assez mal à l’aise. Notre dernier spectacle était vraiment emblématique de cela : je suis arrivée vêtue d’une combinaison en spandex noir recouverte de strass et de talons aiguilles, et les garçons portaient leurs bottes de travail et leurs t-shirts. Il y avait seulement tant que je pouvais faire. On ne peut pas vraiment contrôler l’image sans que tout le monde soit à bord, même la manière dont nous dirigerions Chairlift en tant qu’entreprise.

“Je voulais réinvestir notre argent dans le visuel : des clips musicaux, notre spectacle en direct, investir dans la mode. Et Patrick était du genre à dire : ‘Non, nous avons besoin d’acheter cette table de mixage’ ou ‘Achetons ces enceintes’. Il n’y avait pas de réponse correcte, évidemment, lui et moi avions une excellente chimie en tant que partenaires de studio et de composition, c’est pourquoi cela a fonctionné si longtemps. Mais dès que j’ai pu me lancer en solo, j’ai pensé : ‘Je vais consacrer l’argent de ce projet au côté visuel’. Je n’avais jamais eu la carte blanche pour le faire, ce n’est pas pour dire que c’était beaucoup d’argent à travailler, ce n’était pas le cas, mais c’était une priorité pour moi. Et c’était vraiment gratifiant de voir et de ressentir que les gens s’y sont connectés également.”

La réédition, comme le projet, suit cette fine frontière entre titres atmosphériques dévoilant toute subjectivité, et arpèges de guitare oniriques. Cependant, le titre “Coma“, beaucoup plus chargé et rapide que les autres, est une forme de consécration abstraite de l’atmosphère endiguée par Caroline Polachek. Une artiste est née du vacarme de “Chairlift“.

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