Dans un pays merveilleux, écartelé par les crises identitaires, entre affaires du voile et gilets jaunes, une jeune chanteuse est devenue est une cible médiatique.
Le Rap : Un art contestataire hautement contesté
Pendant plus de 20 ans, depuis ses débuts difficiles, promu par ces portes drapeaux légendaires que sont IAM, NTM, ou encore ATK et le Secteur Ä, la musique urbaine est devenue le genre musical le plus écouté en France. Dans le rapport établi comme chaque année par la SNEP, le Rap règne en maître sur l’industrie musicale. Les 5 artistes les plus streamés au premier semestre 2019 sont issus du Rap comme PNL, Ninho ou par exemple Lomepal. C’est une véritable révolution lorsqu’en 1998, quelques temps avant que la Génération Zidane ne gagne la Coupe du Monde avec les bleus, Kool Shen de NTM s’écriait dans son titre “On est encore là” extrait de “Suprême NTM” : “On ne passe pas dans leur radio, on fera le tour c’est pas grave, le plus dur c’était de sortir de la cave, et les gens le savent”. Aujourd’hui, le rapport de la Snep est accablant pour tous ceux qui déconsidèrent le Rap :
◦ SNEP – Performances Semestre 1 ◦
— Le SNEP (@snep) July 25, 2019
Les artistes dont le répertoire (tous albums confondus) a été le plus acheté et écouté en streaming au cours de ce 1er semestre, sont très majoritairement français : ils occupent 80% du Top Artistes ! ??
DP : https://t.co/xZAVyHgrJ5 pic.twitter.com/WyoT7Yae2W
Mais est ce que la situation a vraiment changé ? Déjà en 1991, à l’aune de l’éclosion de la culture Hip-Hop en France, le député UDF Charles Ehrmann s’avançait dangereusement sur un sujet qu’il ne connaissait manifestement pas :
Près de 20 ans plus tard, alors que le Rap s’affichait en France, aux Etats Unis et partout ailleurs, comme le style dominant, une partie de la classe médiatique se vautrait dans le mépris de ceux qui ne peut être considéré que comme le témoignage d’une minorité que finalement on ne laisse jamais parler. Eric Zemmour, polémiste, peut être un peu trop proche des idéaux identitaires emploiera une expression malheureuse qui rentrera dans les contre annales du Rap.
Bien sûr, chez les insiders, tout le monde connaît l’anathème de Youssoupha à ce sujet dans le titre “A Force de le dire” (“J’mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce c*.* d’Eric Zemmour”) qui lui vaudra un procès dont découlera son chef d’oeuvre “Menace de Mort”. Mais la plus belle des réponses à cette affirmation maladroite et non probante vient peut être du rappeur de Fuzati et Orgasmic dans le titre “Planétorium”. On ne sait pas vraiment si le rappeur comptait répondre à Zemmour mais il a exprimé une réalité en quelques mots.
Les rappeurs finalement ne sont pas si violents… Médine, rappeur polémique à qui on doit le brûlot “Don’t Laïk” déclarera dans “Peplum” l’un de ses premiers titre “Plus Forte que l’épée sera ma plume, plus forte que le plomb sera ma plume”. Lino d’Arsenik l’avait déjà annoncé dans “J’Boxe avec les mots”. Et ces mots sont peut être moins violent que ceux d’un Eric Zemmour. Le “Savoir est une Arme”…
Aya Nakamura : L’ascension fulgurante d’une chanteuse !
Lorsque la grandiose Aya Nakamura sort son album éponyme “Nakamura”, elle sort d’une période de doute où elle valse entre plusieurs producteurs. Le Keyzit de Moussa Wagé tente de l’arracher en vain à sa maison de disque. Le producteur est là depuis un bon bout de temps, et désormais il a le regard tourné vers l’Afrique. Aya Nakamura est une priorité qu’il n’arrive pas à saisir. La sortie du single “Djadja” et de l’album “Nakamura” marque le point de départ de l’ascension fulgurante d’une chanteuse qui joue au métissage de la culture Afro et de la culture urbaine, révolutionnant tant du point du visuel que de la musique les codes de la culture urbaine.
Aujourd’hui, le clip “Djadja” culmine à près de 451 millions de vues sur YouTube. Aya Nakamura n’a rien à envier aux stars américaines. L’album “Nakamura” a été certifié double disque de platine en France, et il a squatté le Top néerlandais pendant près de quatre semaines. Il a été certifié Or au Pays Bas. Ces chiffres pourraient tantôt donner le tournis. Mais la reconnaissance dont a bénéficié Aya sur la scène internationale ne se mesure pas seulement par les chiffres. Tout d’abord, la jeune chanteuse a été nominée au BET Awards, cérémonie culte de la culture afro-américaine. Jok’Air de la MZ a eu droit à sa nomination aussi. Mais dans le cas d’Aya, il ne s’agit pas de la seule consécration à laquelle elle a eu droit.
Elle a été mise à l’honneur dans de nombreux médias étrangers dont le très prestigieux “The Guardian”, ou encore “The Fader” qui a consacré sa Une au groupe de rap français PNL également. De nombreuses stars internationales ont relayé le titre “Djadja”. On retrouve même Rihanna et Madonna dans la liste des stars qui ont contribué à diffuser la chanteuse à l’étranger. L’interprète du titre “Pookie” appartient même à la bande originale de la série “Elite” dans sa deuxième saison. Le monde de la musique est unanime.
Madonna qui s’ambiance sur la « Madonna de banlieue ? » https://t.co/YZN18v1I7T
— Aya Nakamura (@AyaNakamuraa) November 12, 2019
Les médias français : le #AyaBashing
Malheureusement, Aya Nakamura n’a pas bénéficié du même soutien partout et surtout pas dans les médias français. Le premier cas d’Aya Bashing remonte au NRJ Music Awards. La chanteuse repart d’ailleurs bredouille de la cérémonie. Mais ce n’est pas tout. Elle est invitée à interpréter son titre “Djadja” sur scène. Mais au moment des présentations, le présentateur star de TF1 Nikos Aliagas tout comme Lio écorchent son nom à plusieurs reprises. C’est avec une grand surprise qu’elle réagit sur les réseaux sociaux. Quelques jours plus tard, Nikos s’excusera avec élégance. Mais la réalité est cruel. Même si elle a vendu des centaines de milliers de disque, l’oeuvre d‘Aya Nakamura est méconnu d’une partie de la classe médiatique.
Cependant, l’erreur de Nikos marque plus une méconnaissance de la culture urbaine qu’une réelle intention de nuire à la chanteuse. Ce n’est manifestement pas le cas de Mathieu Delormeau. Invité à s’exprimer sur le cas Aya Nakamura, le chroniqueur de “Touche Pas à Mon Poste”, l’une des émissions les plus suivies du PAF, la qualifie froidement de “Madonna des Banlieues”. Mépris incroyable non seulement pour Aya, mais également pour toute la culture urbaine dans son ensemble.
Quelques mois plus tard, dans “TPMP People” présenté par le même Mathieu Delormeau, elle fait l’objet d’un lynchage en règle de la part des chroniqueurs qui parlent de son mauvais caractère notamment et du fait qu’elle ne s’adonne pas à 100 % au jeu médiatique. Le #AyaBashing a le vent en poupe.
Orh mais lâchez ma veste nan ? ???? Aya ,Aya .. https://t.co/HLwDaM2Pvi
— Aya Nakamura (@AyaNakamuraa) October 25, 2019
Nakamura : Les raisons de la colère !
A travers le cas Aya Nakamura, c’est surtout les “quartiers” qui sont visés. La chanteuse n’a certainement pas un mauvais caractère. Et pour tout le mépris qu’elle a pu recevoir de son “propre pays” tandis qu’elle est acclamé partout à l’étranger, elle fait même preuve d’une patience d’ange. La France n’est pas un pays raciste.
Mais sans doute, derrière tous ses railleries concernant une artiste qui est l’un des seules françaises à avoir réussi à transcender les frontières nationales se cachent un mauvais esprit qui voudrait que tout ce qui sort des cités reste dans les cités. Non contrairement à une artiste comme Shay, Aya Nakamura n’est pas rappeuse à proprement parler, elle fusionne les sonorités africaines et urbaines pour un résultat entraînant. Elle ne suit pas les codes propres au star system. Et sa musique plaît à tout le monde (en général).
Avant la révolution numérique, les médias traditionnels et spécialisés “décidaient” du sort d’un artiste. Peut être qu’aujourd’hui alors que le lien est directe entre un artiste et ses auditeurs, certaines personnalités pour ne pas dire certains médias vivent mal le fait qu’une afro-française issue des cités soit la meilleure représentante de la culture musicale populaire en France. Le mépris affiché pour Aya Nakamura exprime malheureusement un rejet généralisé sur la musique urbaine qui aux yeux de beaucoup reste “l’art des cités”.