C’est souvent ce qui arrive ! J’ai fait ma place dans la com, mais désormais l’odeur des billets violets, ce parfum enivrant surtout pour un ancien pauvre, sature mes narines de dépossédé, au point que la passion pour le rap passe après.
On se plaint tous du sens que prend l’industrie musicale. Et manifestement, personne n’est prêt à faire changer les choses. Lorsque pour la première fois de ma carrière, un producteur m’a laissé ma chance dans le rap français. Il m’a fait comprendre que “l’argent gouverne le monde et pas seulement le rap. Le rap est à l’image de la société qu’il a fait naître” en finissant sur “propose un contrat de plusieurs centaines de milliers d’euros à un artiste à condition qu’il modifie sa direction artistique, tu penses qu’il va refuser et retourner en cité ?”. Non tout le monde ne pense pas comme Demi Portion.
J’étais sur le point de partir à Amsterdam et Monsieur C m’appelle. C’est un gars sympa de l’ancienne école qui rappe depuis toujours, et qui est plutôt talentueux. Il veut une campagne “de base” avec les médias type Rapunchline, OKLM ect. Je lui fais un tarif, et je prends mon Thalys direction la Hollande.
Arrivé sur place, ma femme du moment met des pressions pour visiter le quartier rouge. Elle met tellement de pression que j’ai l’impression de voyager avec mon pote puceau de 45 ans. J’ai toujours éprouvé de la gêne par rapport à ça. Mettre des putes en vitrine , déjà c’est limite, mais allez les voir comme au Zoo, c’est encore pire.
Finalement je cède devant le manège de ma femme, et une fois qu’on ressort du quartier rouge, elle doit se poser pour respirer. Elle a fait un malaise. La prostitution exposée au grand jour, ça lui a fait un choc, tout comme les supporters anglais agglutinés devant les vitrines en poussant des hurlements pas très sexy. Pendant ce temps là, Monsieur C commence à s’acharner sur mon téléphone. J’y accorde peu d’importance. On a loué un salon de tatouage comme hôtel sur 4 étage pas loin de la vieille ville. Quand le propriétaire rentre pour sa journée de taffe (on vit dans les 3 étages supérieurs), je lui demande ses tarots. Le mec est un esthète c’est trop cher.
On rentre à Paris. Sur le quai, elle me dit au revoir et rentre chez elle. C’était comme si on avait fait un tour à la boulangerie du XX ème , ou comme si aller à Amsterdam, c’était d’une banalité ennuyante. Je la regarde partir au loin en marmonnant des insultes dans mon crane dégarni et je vais rejoindre un pote en soirée.
Monsieur C perd patience, alors je rentre à 4 h du matin et je programme tous les articles. Tous les articles ? Tous sauf OKLM qui résiste à tous mes appels, mes relances et mêmes mes propositions de pot de vin (assez étrangement). Le lendemain je décroche. Le type est furieux. Ce Monsieur C est plutôt sympa, mais c’est le genre de mecs de l’ancienne école qui fonctionne à la parole. Alors quand tu as parlé de OKLM, son clip doit y figurer absolument. Il me demande le remboursement intégral, on s’embrouille. Je sors en toute insouciance.
Trois heures plus tard, Mister N de Place des Fêtes m’appelle. Lui il est encore plus âgé que moi, il est aussi connu dans la rue que dans le rap. Aujourd’hui, il arrange les affaire. C’est loin d’être un voyou mais il l’a été dans sa jeunesse : “Z, ca va ?“. Je lui réponds que oui. Il continue : “Yes, Monsieur C te recherche partout dans Paris ? Tu sais qui c’est au moins ? Je vais l’appeler attend“.
Bon j’apprends par Mister N que C est loin d’être un enfant de cœur. Il a déjà fait de la prison pour “un règlement de compte“, et d’ailleurs s’il est aussi énervé c’est que son pote vient de “se faire fumer“. Ce genre de parole rapportée ca vaut ce que ca vaut mais bon reste que le type est tellement furieux qu’à chaque fois que je lui parle au téléphone je me prends des patates de forain vocales.
Mister N organise un rendez vous. Sans vraiment comprendre pourquoi, je choisis comme lieu de rendez vous, mon ancien lycée Hélène Boucher à 21 h. C’est sans doute l’effet “tu vas voir ta gueule à la récré“.
Je vois Monsieur C. arrivé en voiture, freiné devant la lycée dans un boucan d’enfer, me regarder et se barrer. Derrière Mister N arrive dans sa petite caisse et ouvre la portière. Je rentre : “Je t’ai sauvé la vie Z“. Il m’emmène dans un restaurant de Falafel dans le coin, et me parle. J’ai l’impression d’être dans le Parrain. Tout le monde lui serre la main. J’ai l’air con. Et il me fait la morale. Je rentre chez moi. Je me dit que je suis trop con.