“6 heures déjà que je fais les 100 pas et dans le sac toujours pas un rond” (IAM –Un cri court dans la nuit). L’horloge fait battre son tempo. Les battements des secondes me font l’effet d’un coup de tambour qui me transperce en plein cœur. Dans cette symphonie de la frayeur, je marche au pas des mécaniques, je déroule mon jeu un peu plus. J’attends patiemment que l’horloge indique l’heure du départ, une fraction de seconde fatidique en réalité.
Le paiement sur Paypal se fait attendre. Cet argent me permettra de prendre un aller simple pour Amsterdam loin de Paris, plus loin du Rap et plus loin encore de ma vie. Le pèlerinage à Dam, La Mecque du petit jeune parisien, est à la fois un voyage initiatique, et à la fois une perdition. Comme une bande de zombies sortie tout droit de Walking Dead, ils font la tournée des Coffee Shop sans oublier de faire des story autour des particularités locales Weed et Red Light District. Il y a des putes partout à Paris mais le jeune trouve ça plus exotique de les voir en vitrine. Et Vice City sait jouer de ses atouts. Partout à Amsterdam, le touriste un peu curieux ou averti trouvera des objets à l’effigie du cannabis, ou des sex shops pour lui rappeler qu’il n’est pas là par hasard. C’est étrange mais Amsterdam, comme Paris ou Barcelona ont la Tourista. Cette maladie rageuse qui vous fait chier des stéréotypes sur vous mêmes à longueur de mètres sur les grandes avenues commerçantes. A Paris on vend des Tour Eiffel et des maillots du PSG (avec la Tour Eiffel), à Amsterdam on vend l’image de liberté étrange qui vient de la légalisation de la prostitution et du cannabis. Une liberté apparente mais réelle pour les visiteurs. Quant à moi je vais finir ma vie devant une vitrine à Amsterdam comme le jeune que j’ai toujours été.
Je lance ma playlist sur Tidal, je m’installe et j’attends. Elle commence par le titre “Helsinki” de Dinos, rappeur un peu oublié de la scène Rap parisienne. Dinos c’est le regret du journaliste spécialisé. Le rappeur a un phrasé exceptionnel. Il décortique les mots avec une précision d’esthète. Et pourtant sa vieille rancœur du politiquement correct, sa manière de rejeter l’héritage un peu trop facile du petit caïd de banlieue, son obstination à poser des mots sur un mal être vieux d’un demi siècle, lui ont valu un boycott total. Youssoupha en parlant du titre de son album “Négritude” dans le morceau du même nom rira de nous : “Il aura mieux fallu que l’album s’appelle “Nique ta mère” ou bien “Drug Dealer”.
Dinos est allé à Skyrock temple du Rap mainstream pour crier dans un freestyle mémorable que “Laurent Bouneau (le patron de la radio) trouve mes sons trop intelligents pour les passer en radio”. Dans Helsinki, il parle d’un amour qui a passé le seuil de sa porte pour ne plus jamais revenir : “Si tu savais comme je te déteste, tu saurais combien je t’aime”. Il part à Helsinki, au pays où “le soleil ne se lève jamais”. Pourquoi ? C’est étrange mais lorsque l’homme est perdu, il cherche les raisons de son malheur dans un ailleurs. La plupart du temps c’est à cause de quelqu’un.
Parenthèse. Musulmans depuis les conquêtes arabes, les persans gardent quelques marques propres aux zoroastriens. Ils fêtaient le départ et le retour du soleil. Le dernier mercredi avant le premier jour du printemps ils se réunissent pour “sauter par dessus le feu” histoire de demander au grand soleil de faire son retour. Un rituel qui peut paraître un peu burlesque de nos jours. Voir une bande d’iraniens bourrée au vin dégueulasse du Centre Culturel Iranien sauter par dessus de grands copeaux de flamme autour du Canal Saint Martin peut paraître un peu rédhibitoire. Surtout que ce jour là c’est aussi la grande fête de leurs enfants qui courent dans toutes les directions comme si le feu du Canal avait soulevé les démons de l’enfer marital.
Cette tradition malgré le retour en force de l’Islam avec la révolution islamique de 1979 a la vie dure et elle est toujours respectée jusqu’à Téhéran. Même le vin du Centre Pouya ne me disait rien… Je l’avalais à grande gorgée en essayant de ne pas me faire bousculer dans le vacarme des Salamalek de circonstances. Je me suis aussi rendu compte que je ne connaissais pratiquement personne. A part ma pauvre sœur, forgée dans le métal américain de la positive attitude, qui pourrait même se réjouir de la solidité sa jambe gauche si on lui coupait la droite, et de ma tante relativement plus réservée sur la question de savoir si elle s’amusait vraiment, je ne voyais que des visages nouveaux. Un moment, un photographe est venu me saluer… je l’ai rencontré dans un bar à Ménilmontant. Cette année, je me sentais pas à ma place. Je suis trop iranien pour être français et trop français pour être iranien. Je suis l’enfant d’un métissage qui ne devait pas se faire forcé par des événements politiques trop importants pour moi . Alors je n’ai pas sauté par dessus le feu. Je me suis contenté de boire un verre de vin et de sauter dans le premier uber pour fêter le soleil qu’il y avait loin de la communauté que je n’ai jamais accepté.
Je n’ai pas respecté ma parole envers le soleil, je n’ai pas suivi ce rituel. C’est sans doute pour ça qu’il m’a offert un mois de Mai dégueulasse à Paris où les averses rivalisaient avec mes égarements et mes erreurs. Jamais à Paris, il n’a autant plu au mois de mai. Pour rajouter à mon humeur de lendemain de coc, je cherchais la lumière partout. “L’absence de lumières fait que je suis dans le noir” (Dieu ne ment Jamais – Damso), je pars en effaçant mon passé comme lorsque je formate un disque dur. Et je pars dans “le pays où le soleil ne se lève jamais”. “Helsinki” sera l’épilogue de mon histoire à Paris même si tout finit à Amsterdam.
J’ouvre encore une fois l’application et me rend compte qu’il n’y a toujours rien. “Sexe, Pouvoir et Bifton” d’Arsenik est le deuxième titre de la playlist. Classique parmi les classiques, il te raconte le Rap. “Sexe, Pouvoir, et Bifton”, n’est ce pas ce qu’on recherche tous ?
Si la plupart des hommes sont réglés comme de pure horloge, et bougent au rythme de cette fine aiguille qui passent de midi à minuit. Si la plupart des femmes avancent les yeux fermés sans jamais se poser une seule question. Si nous sommes tous du « carburant pour la machine » (Brav’ – brav aigainst the machine). Dans ce milieu il n’y a pas de temps. Le milieu artistique, la musique et surtout le Rap plane au dessus des nuages (“Above the clouds” – Gangstarr) comme une cité interdite inaccessible et imperméable pour certains. Je suis journaliste sous payé dans le Rap, j’ai une agence de communication dans le Rap…. J’étais, j’avais.
Il ne faut pas se mentir. Comme le football colombien dans les 90’, le Rap français est toujours le meilleur moyen de blanchir l’argent du deal. C’est comme un uber mais c’est vraisemblablement plus rentable. Après tout, “le dealos” est la source d’inspiration principale du Rap français. Les couplets de PNL, Gradur, et Booba ont beau raconté l’histoire de “Cartels” à la mode colombienne à Paris. Le dealer parisien a “le Balmain rempli d’espèce” (“Maman ne le sait pas” – Ninho) mais la tête vide. “No Future” (Tiers Monde – “Babel”), il a le “Démon” (PNL– Luz de Luna). Il se sert de son argent pour financer “un petit” qui fait du Rap. Si ça marche pas, il aura dépensé ailleurs que dans les magnum qu’il ne boit même plus en boite de nuit; Et si le petit arrive à donner quelque chose, il coulera des jours paisibles avec l’argent qu’il a blanchi dans “l’avance” et dans les revenus Sacem.
L’heure tourne.. et l’argent n’arrive pas, je vais bientôt être à cours. Les titres s’enchaînent aussi sur l’ordi. J’entends un morceau d’aujourd’hui, un titre de Ninho et SCH. De l’égotrip pure et dur, “Prêt à Partir”. Il n’y a rien dans ce titre sinon la rage, l’impertinence, et le culot de deux rappeurs qui vendent plus aujourd’hui aux français que tous leurs chanteurs de variété.
Un jour je marchais à Ikea avec mon meilleur client Rackim. L’homme est le fondateur d’un grand média urbain un site qui possède un réseau de quelques millions de followers, et qui gère une grosse manne financière dans le Rap français. Nous étions venus acheter des bureaux pour le local qu’il avait ouvert aux Portes de Paris. Il m’a signalé que que j’avais oublié un client dans ma campagne de promotion. Il m’a dit de faire attention. Je lui ai répondu que je n’étais ni “une Mafia ni un dealer”. Il m’a répondu qu’en revanche je jouais avec l’argent du deal en éclatant de rire. Rackim est une crème, un des rares mecs bien que l’on peut trouver dans ce Hip Hop.
Alors même si il est loin d’être une réunion de Gangster “buveur de sang” (Kaaris – pour l’ensemble de son œuvre) le Rap a accepté les codes de la rue, et les promeut dans les œuvres de ses artistes. Le Rap c’est le témoignage de la rue, la vitrine des mauvais quartiers, et pour beaucoup le rêve de sortir de l’illicite. Malheureusement, la légende du journalisme du Rap, Sear Get Busy, me lâchera dans l’une des rares interview que j’ai réalisé à mes débuts pour ActuBuzz : “Si le Rap nous a permis de sortir des quartiers, aujourd’hui il en enferme plus d’un”.
Je repense à lui en écoutant « on est encore là » l’un de mes titres préférés de NTM. Les années 90 avait vu naître la poésie urbaine, le Rap à texte, et les rap conscient. Les années 10’ représentent les dernières étapes qui ont fait du Rap la musique la plus écoutée au Monde devant le rock, la pop et la dance. Le Rap est entré partout, dans les clubs, les beaux quartiers, et même certains médias même si la grande messe médiatique ne prie jamais pour le Rap. La musique a dû se faire à nouveau public alors dans certains cas il s’est débarrassé de sa conscience et de sa complexité ….
Le paiement n’arrive toujours pas… Je commence à avoir peur, à regarder le vide comme un dépressif qui vient de se faire sermonner un psychiatre.C’était donc ça la chute de cette histoire. La fin de cette aventure. Les “happy end” sont bons pour le mauvais cinéma. Derrière les joies se cachent les peines. La vie te reprend souvent ce qu’elle t’a donné. Après t’avoir donné la vie, elle te libère avec la mort.
La playlist bouge sur le « réseaux » de Niska. Il a fait ses débuts dans le Generations buzz que j’avais soutenu avec “sweetsign”. Sur les dix artistes qui étaient à l’affiche de ce concert, seul Niska avait déshabillé les filles du premier rang en chantant. Preuve de son talent inné de Charo.
Tout en poussant des soupirs très malaisant je regarde fixement l’affiche du concert que j’ai placardé sur mon mur, J’avais organisé ce concert avec La GP pour la Radio Générations FM. C’est le point de départ de ma véritable histoire.
Ma Story dans le Rap commence par LA GP. Agence de communication, de production, qui n’a jamais pu garder personne je pense. L’entreprise était géré de main de maître par le patron JR. Figure du banditisme politique, Black Dragon depuis l’époque jusqu’à aujourd’hui, le maître des lieux gèrent son entreprise comme une Mafia. Ce n’est pas un mauvais garçon. Qu’est ce qui finalement différencie JR de ces patrons véreux qui font faire leur jean au Pakistan pour 10 centimes en détruisant économiquement et humainement un pays ? Que penser de ces cols blancs qui regardent la terre mère africaine comme une opportunité à saisir, et établissent sur le continent « leur empire illimité » ( Edgar Allan Poe – Le masque de la mort rouge). . JR a révolutionné la politique d’entreprise. Il refuse de payer l’establishment pour s’établir. Dans ce pays fait de bleu de blanc et de rouge et surtout pas de noir, c’est un crime de lèse majesté.
C’est ici que j’ai appris que le Rap, et l’art en général est une mascarade au service de l’argent comme toute chose qui se vend par ailleurs. L’argent est un léviathan qui attire tout dans son sillage, le pervertit, et le transforme en un produit manufacturé sous cellophane. Le produit sera ensuite reproduit en un nombre incalculable d’exemplaires pour être vendu puis jeté. Pour sortir de sa condition d’orphelin enfermé dans les foyers de la République JR a refusé de respecter les règles du jeu. S’il avait accepté son sort, il serait sans doute en train de charger un camion en face d’une bijouterie (qu’il aurait rêvé de braquer).
Dans ce Rap, il y a beaucoup de « frères » mais très peu de fraternité. A l’image du monde, il est violent et ultra concurrentiel. A l’image de l’humanité, il est riche de rencontres exceptionnels. Le paypal vient d’arriver. Les bitcoins sont prêts. Réside seul le choix : voler et partir ou rester et mourir. Trahir la confiance des vrais pour ne pas mourir sous les coups des autres. Je regarde attentivement le premier cd de rap que j’ai eu sous la main, « L’ecole du micro d’argent ». Et je regarde à travers la fenêtre. Il est peut être trop tard. C’était peut être ma « Destinée » (Booba )