Rares sont les films de banlieue qui conservent à mes yeux une authenticité. Un film français me reste en tête comme un phare “Les cœurs verts” d’Edouard LUNTZ réalisé en 1966 dans les Cités dortoirs de Nanterre. Ce film indépendant est une pépite, un petit chef d’oeuvre méconnu qui n’a rien à envier au talent de Martin Scorsese de “Mean Streets”, de Spike Lee de “Do the Right Thing” ou d’ “Accatone” de Pier Paolo Pasolini. Il relate de façon âpre le phénomène de bandes de banlieue qu’étaient des blousons noirs, issus du monde prolétaire.
Perfectos, bananes, santiags, chaînes de vélo et schlass, le look de ces cailleras de “la Zone” est celui d’une jeunesse en révolte contre le monde du travail. Zim et Jean Pierre se rencontrent en prison. Il sortent enfin. Ils galèrent sur des terrains vagues de Nanterre, trafiquent des motos, sortent en bande. Une scène culte m’a particulièrement marqué. La petit bande arrive dans un bal populaire. L’attraction est sexuelle. De nombreuses femmes dansent sur du Serge Gainsbourg au milieu de la piste. “Un Apache” tente une approche vers une jeune femme, manque de bol “un versaillais” s’interpose, c’est sa “gonzesse”. Les looks s’opposent, coupes de cheveux soignée, habits chics de dandy, souliers brillants, mentons arrogants.
Il y a une authenticité, un phrasé ouvrier si touchant, si juste. Personne ne fait ça en France en 1966. Edouard Luntz est un franc-tireur radical. L’enfant du néoréalisme italien qui avait déjà filmé avec poésie la Zone dans un court métrage sublime “les enfants des courants d’air” (1959) qui montre la vie des enfants des Bidonvilles d’Aubervilliers, qui obtient le Prix Jean Vigo. Edouard Luntz a continué dans sa veine politique avec des longs métrages, après une sélection officielle au Festival de Cannes et une expérience à Hollywood, il a été honteusement oublié, et a tristement fini sa vie dans un état de misère absolue. Un grand film, un grand bonhomme. Le film est réédité en DVD chez René Chateau. Un classique indispensable pour tous les amoureux d’un cinéma qui filme le Peuple, la rue avec une honnêteté humaniste.