« When you lie to me I Hurt you ! » ( Chaque fois que tu me mentiras, je te ferais du mal !)
C’est sûrement le fait, hier, dans un de mes articles, d’avoir mentionné l’acteur Reda Kateb qui m’a amené, ce matin, au réveil, à me rappeler du film ZERO DARK THIRTY de Kathryn Bigelow. J’avais vu le film dans une grande salle de cinéma à sa sortie. Et, j’avais étonné de tomber sur….Reda Kateb quasiment dès l’ouverture du film dans le rôle d’un terroriste que l’on torture et qui finit par lâcher une information qui permettra à retrouver Ben Laden, l’homme alors le plus recherché du monde, après les attentats du 11 septembre 2001.
Attentats dont je me « rappelle » : je sais encore où je me trouvais et ce que je faisais lorsque les images des attentats du 11 septembre avaient été distribuées et redistribuées à la télé. Au travail, dans le service de pédopsychiatrie où je travaillais alors avec des adolescents. Mais, à cette époque, en 2001, personne ne parlait des soignants comme de « héros de la nation ».
La dernière fois que j’avais aperçu l’acteur Reda Kateb sur un écran, c’était pour le voir dans des films d’auteurs français. Et, là, dans cette salle de cinéma parisien, sur un très grand écran, c’était dans cette très grosse production américaine réalisée par Kathryn Bigelow.
Kathryn Bigelow, américaine, est connue pour être une gorgone-réalisatrice de films membrés. Réalisatrice, américaine et gorgone, Bigelow a sans doute beaucoup à dire sur la question du genre. Et, elle le fait en poussant ses films comme une femme pourrait se mettre debout pour pisser.
J’avais déjà vu- et aimé- plusieurs de ses autres films. Hormis Point Break (je n’avais pas retenu qu’elle en était la réalisatrice), j’avais vu Strange Days, K-19, le piège des profondeurs, ou Démineurs au cinéma.
Avec ZERO DARK THIRTY, nouveau « film d’action », on entre cette fois dans une actualité politique récente. La traque reconstituée, au cinéma, et la « fin » de Ben Laden.
Si le film m’avait plu pour sa réalisation, j’étais resté très perplexe quant aux motivations morales de ce film. Réalisé avant que les Etats-Unis (ou les Extra-Terrestres) ne nous « envoient » Donald Trump, ZERO DARK THIRTY expédie quand même à la face du Monde, que « America Rules ! » et que si l’on s’en prend aux Etats-Unis, on s’expose à de sévères « Retaliation » ( représailles) y compris médiatiques.
Je ne nie pas le trauma du 11 septembre 2001 pour les Américains. Cela est impossible. Mais cette façon de percevoir les Etats-Unis comme l’équivalent du « berceau de l’Humanité » et de justifier par ailleurs toutes les atrocités, militaires ou autres, connues ou non, par les Etats-Unis m’a semblé se confondre avec les intentions du film.
Une très mauvaise habitude :
Je parlais de l’acte de pisser debout tout à l’heure. Et, j’ai déjà raconté cette histoire.
Lorsque j’étais allé voir le film en salle, pratiquement à sa sortie, j’avais commencé à prendre l’habitude, de me rendre aux toilettes en pleine séance et de laisser mon sac dans la salle.
Très mauvaise habitude que j’ai perdue depuis.
A mon retour dans la salle, alors que je me rapprochais de ma place, j’avais été étonné d’apercevoir deux silhouettes presque collées à l’issue de secours. Debout. Et qui attendaient ou observaient. Plutôt inquiètes à leur attitude. Et, ce n’était pas pour pisser debout contre un des murs de la salle.
Car, alors que je commençais à me diriger vers la rangée de fauteuils où se trouvaient mes affaires, un homme, en début de rangée m’avait alors demandé :
« Elles sont à toi, ces affaires ? ». J’avais opiné de la tête.
Il avait repris : « Quelle bande de cons ! Si tu les avais vus ! ». J’avais alors compris que, sitôt que mes affaires avaient été découvertes sans leur propriétaire- par quelques spectateurs- que pour plusieurs d’entre eux, le film était soudainement devenu beaucoup plus réel dans la salle que sur le très grand écran.
Nous étions en 2012. Plus de dix ans après les attentats du 11 septembre. Ben Laden avait été exécuté un an plus tôt par des forces spéciales américaines. C’était ce que nous racontait Zero Dark Thirty.
Je m’étais rassis. Aucun équipe de démineurs n’était venue investir la salle. Et j’avais regardé la suite du film.
Je crois que les deux silhouettes près de la sortie de secours étaient ensuite revenues s’asseoir. Mais je ne saurais jamais de quel film elles se souviennent le mieux.
Aujourd’hui, ce 16 juin 2021, et depuis plusieurs mois, nous parlons certes beaucoup de la pandémie du coronavirus, de ses variants et de ses vaccins. Mais, nous savons aussi que vingt ans après Al Quaïda et Ben Laden, que d’autres terrorismes subsistent, croissent et nous inquiètent de plus en plus. Qu’il s’agisse d’un terrorisme religieux, politique, économique, climatique, ou sanitaire. Lequel a plusieurs visages et différentes façons de se manifester et de tuer. Que l’on parle de Daech, de l’extrême droite, de certaines positions catholiques intégristes, de la déforestation intensive ou d’autres pratiques devenues si courantes qu’on les oublie ou les banalise.
Après tout ce bla-bla en préambule, je vais regarder à nouveau ce film et je vous en reparle.
« You Belong to me ! » ( Tu m’appartiens/ Je fais de toi de que je veux !/ Tu es ma chose ! »
Quelques jours sont passés depuis que j’ai commencé à rédiger cet article. Entre-temps, la vie courante, parfois mourante, m’a éloigné du terrain de l’écriture.
Je me reprends en main ce matin.
Divinités de la lecture ! Alors que les terrasses des restaurants sont de nouveau sorties des bâches de la pandémie du Coronavirus et que l’on peut, depuis quelques jours, marcher dans les rues à visage découvert et y « récupérer » celui de son prochain ou de sa prochaine alors que l’on ne pouvait, depuis des mois, que tomber dans ses yeux.
Faites prospérer l’attention des lecteurs ! Et, multipliez, aussi, les cercles et les sangs de celles et ceux qui, autour, pourront et voudront bien lire ces phrases aux pleins poumons. Car, déjà, je « sais » que cet article, vautour de mon temps, sera plus long que prévu.
A peine dix minutes de Zero Dark Thirty ont été vues que, déjà, mes pensées se resserrent sur un certain nombre de proies.
En commençant à revoir ce film, j’ai redécouvert ce plaisir qu’il y a se recueillir en soi…en entrant dans un film. J’ai déjà comparé le fait d’aller dans une salle de cinéma au fait d’aller à la messe. Pour moi, sur l’écran, comme sur ce que l’on entend et voit d’un représentant de la foi, on projette ce que l’on est. On regarde un film comme l’on est et comme on vit. Comme on a pu vivre. Ou comme l’on voudrait vivre. De là nous vient un certain nombre de nos certitudes par rapport à une scène, un film, un prêche religieux.
On veut faire établir pour vérité ce qui nous parle à nous, personnellement. Ce que l’on a compris et « vu ». Et on veut convaincre.
Je veux donc convaincre. Une fois de plus. Et, une fois de plus, je n’y parviendrai pas forcément. Ou si peu. C’est notre histoire, à tous.
J’entends des voix :
Je me rappelais de ma surprise à voir l’acteur Reda Kateb au début de ce film. Mais j’avais oublié ces « voix » vraisemblablement de victimes des attentats du 11 septembre 2001 comme celles des services de secours qui leur répondent au téléphone et qui tentent de les rassurer. Si ! Si ! Tout va bien se passer, vous allez voir ! « Je vous aime ! » crie une victime dans un message téléphonique qu’elle laisse à ses proches. Aucune image.
Que des voix.
Un écran noir. Le noir sans doute pour le deuil. Sans doute pour la pudeur. Sans doute pour parler directement à nos émotions et à nos consciences. Directement. Sans artifice. S’exfiltrer de l’artifice qu’est l’exercice du cinéma…en passant par le cinéma, ce film Zero Dark Thirty. Par un collage entre le réel ou supposé réel et la mise en scène d’un film de cinéma :
Je n’ai pas vérifié si ces voix sont d’authentiques voix de victimes du 11 septembre 2001 à New-York. Mais je le suppose. Je ne demande qu’à le croire. Voire : je trouverais presque indécent, moralement, d’en douter.
Des horreurs séparées et hiérarchisées :
Donc, lorsque le film débute vraiment avec l’acteur Reda Kateb en position de terroriste torturé afin qu’il permette de remonter la filière qui permettra d’attraper les responsables de cette horreur (les attentats du 11 septembre 2001), le premier but de la Kathryn Bigelow est atteint. Les deux horreurs sont séparées, hiérarchisées.
Il y a d’un côté cette horreur (les attentats du 11 septembre 2001) que l’on ne voit pas car on ne l’accepte pas. Parce qu’on la trouve ignoble. Et celle de la torture du terroriste (interprété donc par l’acteur Reda Kateb) que l’on va voir. Et accepter.
Première remarque à propos de cette phrase- « You Belong to Me ! » que Dan (l’acteur Jason Clarke) le tortionnaire en chef , visage découvert ( le seul à avoir son visage découvert face au terroriste également mis à nu, bien que porteur d’un pantalon et d’un tee-shirt) active :
Nous « appartenons » presqu’autant à la réalisatrice dès ce moment du film que ce terroriste n’appartient à Dan. Et, pour cela, moins de dix minutes de cinéma ont été nécessaires. On peut d’ores et déjà saluer le Savoir faire de la réalisatrice. Se demander, si, dans notre vie courante, nous nous faisons, toujours, aussi rapidement manipuler.
Ou commencer à réprouver moralement son film.
Je n’ai pas encore tranché à propos de ces questions alors que je rédige cet article.
Dominant/dominé/domino :
Mais, « You Belong to me ! », c’est évidemment, la phrase qui peut se dire de dominant à dominé. Que cette situation de domination soit visible ou invisible. Détectable ou indétectable. Dans la vie conjugale. Entre des parents et leurs enfants. Au travail. Entre riches et pauvres. Entre l’occident…et le reste du monde.
Cette phrase a donc deux faces. Elle étale aussi au grand jour, au travers de Dan, cette domination qu’entend continuer d’exercer l’Occident, via les Etats-Unis, ici, sur un membre du Moyen-Orient :
Ammar, interprété par l’acteur Reda Kateb.
Et, en exposant la dualité de cette phrase, Bigelow montre aussi une certaine responsabilité de l’Occident. Ammar, et celles et ceux qui lui ressemblent, ne sont peut-être pas que des terroristes. Mais, peut-être, aussi, des personnes qui refusent d’appartenir à l’Occident. Et d’être ses esclaves ou ses choses.
Mais c’est peut-être, moi qui l’interprète comme comme ça. D’autres, à ma place, ne verront en Ammar qu’un bouffon terroriste qui va et doit en baver comme il le « mérite ». Et les adeptes de cette croyance ( « Ammar/bouffon/terroriste/qui-doit-en-baver) vont prendre leur pied, et peut-être se lubrifier, devant les scènes de torture.
Subtilités : j’ai mes règles.
Sauf que Bigelow est plus subtile que ça.
J’avais oublié ce visage de femme « prégnante » (de femme enceinte) de Maya – l’actrice Jessica Chastain qui a le rôle principal- qui assiste, d’abord avec une cagoule à la torture d’Ammar.
Dan ironise quant au fait que, pour sa première mission, on lui confie un « cas » particulièrement difficile en la personne d’Ammar. Et l’on peut penser que cette séquence de torture a de quoi l’éprouver comme elle éprouverait toute personne qui débute par ce genre de méthode. Comme pour toute initiation qui peut rappeler aussi, celle, trois ans plus tard, de Kate Macer (l’actrice Emily Blunt) face à Alejandro ( l’acteur Benicio Del Toro) dans le Sicario réalisé en 2015 par Denis Villeneuve.
Attouchements/accouchement :
Mais en revoyant Zero Dark Thirty, il me plait maintenant de me dire que Maya/ l’actrice Jessica Chastain est pâle au début du film parce qu’elle est enceinte. Et cela me plait d’autant plus qu’une séance de torture, un film, un jeu d’acteur est aussi un accouchement. Une séance de torture, c’est aussi une séance d’attouchements qui peut mal tourner en vue d de provoquer un accouchement.
Bien des situations critiques, dans la vie, sont nos sérums de vérité. La séance de torture fait partie de ces sérums de vérité.
Ammar, Dan mais aussi Maya, dans cette scène de torture, accouchent de leur véritable visage à un moment ou à un autre. De ce fait, inutile de porter une cagoule et de se cacher derrière elle. C’est sans doute la raison pour laquelle Dan n’en porte pas. D’abord parce qu’il a la certitude, comme il le répond à Maya, qu’Ammar ne sortira jamais de ce camp de torture. Mais, aussi, parce-que, comme le « héros » du film Démineurs ( 2010) qui avait valu l’Oscar à Bigelow, Dan s’est totalement fondu dans sa fonction. Elle et lui ne font plus qu’un.
Un film paritaire
Maya, elle, en retirant sa cagoule, use sans doute d’une stratégie, pour, en se servant de sa vulnérabilité supposée, ébranler Ammar. Mais, elle montre aussi qu’elle est raccord avec cette séance de torture. Qu’elle est l’égale de Dan.
« You can Help Yourself by being truthful » ( vous pouvez vous en tirer en disant la vérité/ en vous montrant sincère) répond/ment-elle avec son assurance de Bambi à Ammar, lorsque, laissée seule avec lui, celui-ci essaie d’en faire son alliée.
Zero Dark Thirty est donc aussi un film paritaire Femme/homme. Vis-à-vis de Dan, le mâle occidental, plutôt macho et physique. Mais aussi vis-à-vis d’Ammar, terroriste islamiste qui, probablement, « voit » la femme comme l’inférieure de l’homme.
Maya expose qu’elle est plus solide qu’elle ne le paraît. C’est du reste, elle, qui convainc Dan de reprendre la séance plus tôt que celui-ci ne l’avait prévu. Et qui trouvera plus tard le subterfuge afin de faire parler Ammar….
Ammar accouche, donc. Se délivre. Et montre un autre visage que celui qu’il montrait jusqu’alors. Jusqu’alors, Ammar montrait le visage d’un homme déterminé à résister « Notre mission durera cent ans » est une phrase attribuée à des Jihadistes du film. Ammar partage sans doute cette pensée.
Mais, finalement « grâce » à Maya, Ammar s’ouvre. Et, la pâle Maya supplante -ou potentialise- la brutalité de Dan, le tortionnaire éprouvé et redouté : car, sans le travail préliminaire de Dan et d’autres, la seule apparition de Maya aurait peut être été insuffisante pour que la cuirasse d’Ammar ne se fissure.
Pour conclure avec la phrase « You Belong to me ! » avant de retourner revoir la suite du film :
Histoire de faire un peu de sémantique prétentieuse, « You Belong to me ! » est proche de l’expression « Longing for ». « Se languir de…. ».
La personne qui impose à une autre son « Tu m’appartiens ! »/ « Tu es ma chose » lui dit aussi :
« Je ne peux pas me passer de toi »/ « Tu me manques ». « Sans toi, je ne suis rien ».
On retrouve donc dans ce « You Belong to Me ! » de Dan son ambivalence envers Ammar. L’ambivalence de l’occident envers le Moyen-Orient. Le « With or Without you I can’t Live » ( « Avec et sans toi, je ne peux pas vivre ») chanté entre-autre par le groupe –irlandais- U2 qui s’y connaît en relations-poudrières indissociables.
« Friandises » en filigrane
A travers Dan et Ammar, on peut aussi deviner en filigrane la Palestine et Israël.
Dan est donc sans doute moins libre qu’il n’y paraît. Même si, bien-sûr, en pratique, il est plus libre d’aller, de venir et d’agir qu’Ammar. Le personnage le plus libre du trio mais aussi de l’ensemble, dans cette scène de torture, c’est véritablement Maya. Elle vient pour cette scène. Se permet de montrer son visage, sa faiblesse apparente. Puis, elle repart. Tous les autres, armés, baraqués, restent sur les lieux. Cagoulés ou à visage découvert. Dan, aussi, comme Ammar, ne quittera sans doute jamais cet endroit de torture. Vous parlez d’un accomplissement dans une vie ?! Passer son temps à torturer d’autres êtres humains. Autant travailler dans un abattoir industriel où l’on tue à la chaîne des animaux. Si Dan torture à visage découvert, c’est peut-être aussi parce qu’il a déjà du mal à respirer à cet endroit. Et, cela va sans doute être de pire en pire pour lui.
Et, Ammar, terroriste meurtrier, dans sa position d’être condamné à l’enfermement à perpétuité, a quand même aussi un statut de personnage tragique. Il lui sera nécessaire d’être sûr que ses actions qui l’ont mené à finir là en valaient véritablement la peine. Car en cas de moindre doute de sa part, son supplice à rester là, sera d’autant plus augmenté.
Mais après ces petites friandises, retournons maintenant revoir la suite du film.
« Je voulais te dire »
Nous sommes à la 43ème minute du film et Dan apprend à Maya :
« Je voulais te dire, je me tire d’ici. Je dois en être à 100. J’ai besoin d’une activité normale ». Un peu plus tard, Dan affirmera : « Ils ont tué mes singes ». Ses singes en captivité, « doubles » inversés de cette centaine d’hommes (on ne voit pas de femmes torturées dans le film de Bigelow. Cela fait peut-être partie de ses limites) que Dan a torturés étaient sa « réserve » d’humanité. La disparition de ses singes lui indique que sa jauge d’humanité est désormais dans le rouge.
Cette scène entre Maya et lui est un passage de témoin. La Maya que nous avons connue tout au début n’est plus. Même si elle a toujours la même allure. L’actrice Jessica Chastain passerait très bien en tant que créature dans Alien. Ce qu’elle fera autrement, d’ailleurs, et avec réussite, en 2019 dans le rôle de Vuk dans X-Men : Dark Phoenix réalisé par Simon Kinberg. Le professeur Xavier ( l’acteur James MacAvoy) lui demandant dans une scène : « What Are You ?! » ( « Qu’est-ce que vous êtes ?! »).
Mais je parlais de « grossesse » pour Maya au début du film. Environ cinq ans après le début de son travail de terrain pour retrouver Ben Laden, il lui est dit :
« Je sais qu’Abou Ahmed est ton bébé. Mais il faut couper le cordon ». C’est une collègue, amie et mère de famille qui lui dit ça. Jessica (l’actrice Jennifer Ehle) qui se trouve sur le terrain depuis plus longtemps qu’elle.
President Obama on TV :
Avant de quitter le camp de torture, Dan avait prévenu Maya que la politique allait changer. Et, donc, qu’il ne serait plus possible de pratiquer la torture de la même manière.
A la 50ème minute du film, on peut voir et entendre le Président Obama déclarer à un journaliste :
« L’Amérique ne pratique pas la torture ».
Vrai/faux ? Toujours est-il que Bigelow montre dans son film que les méthodes d’interrogation changent. Mais, aussi, que récupérer des informations devient plus difficile. Faut-il, oui ou non pratiquer la torture ? Bigelow pose la question.
« I Believe I was spared to finish the Job » ( « Je crois que j’ai été choisie/élue pour finir le boulot ! ».
Les terroristes sont convaincus d’être des « élus de Dieu ». Maya, après avoir perdu plusieurs amis et avoir survécu à un attentat, par cette phrase, est aussi portée par la même conviction- d’être une élue- que ceux qu’elle combat.
Les années passent. Et, jamais, Maya ne se lasse. « Je vais tuer Ben Laden ». Executive Woman version militaire, Maya ne compte pas ses heures.
Vers la fin du film, elle tient d’ailleurs tête même à certains de ses supérieurs et son niveau d’exigence dépasse le leur, pourtant situé ” on a very high level”.
Tel Georges, l’acteur Mark Strong, qui, lors de première apparition intimide particulièrement ses hommes, Maya inclus. Georges, alors, veut des résultats ! « I want targets ! » ( Je veux des cibles !). “I want people to kill !” ( Je veux des gens à tuer ! “). Mais même lui, finit par faire du surplace. Et Maya le lui fait bien sentir. A travers ce face à face que Georges subit, c’est sans doute l’immobilisme de la société que Bigelow décrit lorsqu’il s’agit de laisser un certain pouvoir décisionnel à des femmes. Car il s’en passe des semaines avant que la décision de passer à l’action ne tombe. Ces passages du film où, au marqueur rouge, Maya écrit avec colère le nombre de jours qui passent avant que ne soit prise la grande décision sont les seuls moments un peu « comiques » du film. Mais, aussi, très critiques. Néanmoins, ces passages montrent aussi que certaines décisions sensibles ne se prennent pas à la légère.
Ensuite, une fois le feu vert donné, le film devient un western américain pur jus héliporté .
De Maya qui dit aux « garçons » : « Vous allez tuer Ben Laden pour moi ». L’équivalent de : « Soyez des bons et grands garçons ! Faites plaisir à maman ! » Aux blagues viriles et trompe-la-mort en plein vol (« Qui s’est déjà crashé en hélicoptère ? »).
« For God and country : Geronimo » : ( « Pour Dieu et la Patrie : Geronimo (objectif atteint)
Ce n’est pas la première fois que j’entends un Américain parler de « Dieu » dans beaucoup de ses propos. Mais invoquer Dieu, la Patrie, un ancien chef Indien- même si c’est en langage codé- qui, comme d’autres, a vu ses peuples exterminés et dépossédés de leurs terres par les colons européens, pour confirmer le succès d’une opération m’a fait un drôle d’effet. Ces paradoxes font partie de l’identité américaine.
Le contraire d’un film raté
Quoiqu’il en soit, raconter ces presque dix ans de traque de Ben Laden en seulement deux heures et vingt quatre minutes m’a laissé l’impression d’une très grande maitrise cinématographique.
Zero Dark Thirty est le contraire d’un film raté. Concernant mes interrogations morales du début quant aux intentions de ce film, Bigelow montre aussi le prix plus qu’élevé que cette traque a coûté aux Américains. En logistique, en dollars, mais aussi en vies humaines. Et, encore, Bigelow ne s’attarde-t’elle pas sur les à-côté. Je n’envie pas la vie personnelle d’une Maya ou d’un Dan.
L’apothéose de la vie de Maya aurait pu être de reconnaître le visage d’un être cher à sa naissance ou lors d’une rencontre amoureuse. Il consistera à confirmer l’identité d’un mort qu’elle « suit » depuis des années. Il y a des destinées plus heureuses.
Donc que Maya pleure un peu à la fin du film, est, pour moi, la moindre des choses. Car je ne vois pas quelle paire de bras pourra jamais l’étreindre suffisamment afin de pouvoir l’extraire de cette cellule, où, pendant plus de dix années elle a passé sa vie à désirer un cadavre.
Franck Unimon, ce jeudi 24 juin 2021.