Dans Le Daim, Quentin Dupieux poursuit sa route, sa trêve, son rêve américain parallèle dont il continue d’équiper la bande son : c’est étonnant comme ses films emploient la route ou ce qui s’en rapproche mais aussi comme les situations du Daim – comme sans doute de ses autres films- se raccordent bien aux bretelles sonores de quelques titres de son premier album Analog Worms Attack ( livré en 1999, l’année du film Matrix) comme de son premier tube : Flat Beat.
Ecoutez des titres comme Bad Start, No Day Massacre, Last Night A DJ Killed My Dog, trois des titres de son premier album Analog Worms Attack. D’abord, vous constaterez peut-être aujourd’hui où des artistes comme Jain et Aya Nakamura tapent le son, ces trois titres de Quentin Dupieux/ Mr Oizo sont loin d’en être les seconds. Mais aussi qu’ils collent à la peau de Georges tel du plomb dans le fond de la gorge.
Qui est Georges ? Georges est un emballage ou un homme dans la quarantaine, emporté par l’acteur Jean Dujardin sur une autoroute à péage dans une vieille Audi sans électronique. Cette voiture Audi est immatriculée dans le 92. Donc en région parisienne dans le département considéré comme ” le plus riche de France”. La voiture Audi et l’appartenance au département 92 sont à première vue des symboles de réussite économique.
La voiture de Georges date peut-être aussi de l’année 92 ou de la fin des années 90. Si l’on tient compte du modèle automobile mais aussi du tableau de bord.
Georges a des goûts musicaux très sûrs : Dans sa voiture passe « Et si tu n’existais pas », interprétée par Joe Dassin, un chanteur « franco-américain » très années 70-80 (décédé en 1980 d’un « malaise cardiaque » à 41 ans) également très connu pour son titre L’été Indien. Quentin Dupieux laisse filtrer suffisamment de « bizarreries » dans ses films pour que ceux-ci en deviennent multipistes. Les traces qu’on y trouve peuvent donc être les « tracks » de nos sillons personnels. Cela convient à certains spectateurs et à certaines humeurs plutôt qu’à d’autres.
« Je promets de ne plus porter de blouson de toute ma vie » semble être le nouvel ordre que Georges veut imposer à celles et ceux qu’il rencontre après qu’il ait passé le péage et changé en quelque sorte de route, de dépression… et de dimension. On peut évidemment jouer sur les mots et voir la « paix-âge » dans le péage. Georges est à ce moment de sa vie où il aspire à trouver un second souffle et à faire….le ménage. Cela commence par cette veste de cadre qu’il porte au début du film et qu’il va remplacer par cette veste en daim achetée au prix fort à un vendeur ( l’acteur Albert Delpy ) facétieux ou tout autant enluminé que lui. En voyant l’acteur Albert Delpy, on se dit que ce personnage du vendeur aurait aussi pu être joué par l’acteur Philippe Nahon ou par l’acteur Jean-François Stévenin. André Dujardin/ Georges, quant à lui, ressemble alors au José Garcia du Extension du domaine de la lutte (1999) adapté par Philippe Harel d’après le livre de Michel Houellebecq. Rôle qui avait permis de découvrir l’aptitude dramatique de José Garcia avant son rôle dans Le Couperet (2005) de Costa-Gavras. Mais c’est un Georges également proche de L’Homme à tête de Chou de Gainsbourg pour la transformation psychique que va connaître son personnage.
Au fait ! Le Daim, ici, c’est peut-être l’équivalent masculin du mot « Dinde ». Georges est un banni du génie. Et il est au ban du monde. On s’abstiendra de voir en lui un sujet d’admiration. Et, c’est pourtant la seule petite lueur qui lui reste : celle de ce petit voyant rouge qui s’allume lorsqu’il met en marche sa caméra numérique et qu’il se voit réalisateur « dans le vrai cinéma ! ». D’autant que « Le numérique, c’est ce qui se fait de mieux ! ».
Si nous voyons en Georges un raté qui se trouve pour monastère un hôtel à la Barton Fink ( des frères Coen) perdu près des montagnes, lui se voit en Cow-Boy conquérant. A travers lui et son personnage en perte de repères qui rappelle aussi le personnage de Vincent Lindon dans La Moustache (2005), Dupieux filme aussi notre impossibilité d’inventer notre vie au jour le jour. Car nos vies sont de plus en plus quadrillées. Par l’urbanisation. Par les technologies modernes et numériques qui sont évacuées, désactivées (la carte bancaire) ou finissent à la poubelle dans Le Daim :
La scène du téléphone portable rappelle en effet celle du Nokia dans Matrix, à l’époque où Nokia (entreprise finlandaise) était le numéro 1 mondial (« Jusqu’en 2011 ») en téléphonie mobile. Alors qu’aujourd’hui, les marques Samsung (Corée du sud), Apple (Américaine) et Huawei (Chinoise) semblent constituer le trio de tête dans ce domaine. Et l’on peut voir dans Le Daim différents marqueurs d’un monde enrubanné de cellophane dans les années 70-80 :
Des Baskets Nike typées années 80, une télévision portative en noir et blanc… Attirer le regard, exister, s’ancrer, semble de plus en plus difficile dans notre monde de voyeurs et de reflets à couper au montage où beaucoup peut être refait.
Au passage, Dupieux nous parle de la précarité avec le personnage d’Adèle Haenel, monteuse précaire et résignée qui se révèlera être une Rosetta (1999) des Frères Dardenne ou une Christine Blanc du film Elle est des nôtres (2002) de Siegrid Alnoy.
L’actrice Adèle Haenel, en barmaid et dans son rôle, fait de plus en plus penser à l’actrice Mathilde Seigner à force de se rassembler dans cet air renfrogné qui nous l’a présentée et avec lequel elle nous prend en étau. Mais quand elle sourit, elle ressemble à elle-même et c’est très beau. Dupieux nous donne aussi quelques trucs sur le cinéma en nous parlant de l’importance du montage à travers l’exemple du film Pulp Fiction (1994) de Tarantino ( Prénom : Quentin). Il se fait alors- brièvement- l’égal d’un mécano qui éduquerait les futurs acquéreurs et consommateurs de ces moteurs particuliers que sont les images.
Il peut dérouter qu’un artiste comme Dupieux qui maitrise, célèbre les technologies « nouvelles » et assure sa vie économique et personnelle grâce à elles, tienne un tel discours. Mais, au fond, dans les années 90 à l’époque de la « French Touch », en tant que musicien techno, et avant de devenir cinéaste, il exprimait déjà des idées allant dans le sens contraire. Et, à l’écouter, sa techno « sale » au sens noble contrastait par exemple avec la musique « sublimée », proprette et nacrée d’un groupe comme Air et, avec celle, plus tard, d’un groupe comme Daft Punk, dont on ne sait plus aujourd’hui si leur musique nous touche parce qu’elle nous rappelle ce qu’elle a été. Parce qu’elle est devenue une institution et une norme et que tout le monde (beaucoup de monde) la connaît, l’écoute et danse dessus. Ou parce qu’elle nous libère véritablement. En écoutant l’album Homework (1997) des Daft Punk, je ne me posais pas ce genre de questions.
A la fin de Le Daim, Georges « l’albinos » (voir le film Noi Albinoi réalisé par Dagur Kari en 2002), ressemble à l’acteur Edouard Baer. Puis, un petit peu, à l’acteur Marcelo Mastroianni, capable de jouer « les mecs banals » selon Fellini, je crois.
Peut-être que pour l’acteur André Dujardin, le film Le Daim permettra d’exister davantage, et, mieux, au cinéma.