Lorsque l’on arrête de courir après son passé, on tombe sur un regard. Ce regard est notre secret.
S’il faut souvent donner de soi pour se faire aimer, la générosité dans Brooklyn Secret est un des meilleurs moyens pour se faire trahir ou rejeter. Brooklyn Secret parle d’abord de la vie, aujourd’hui, aux Etats-Unis et de sa politique anti-immigration telle qu’elle continue d’être appliquée par le Président Donald Trump.
Alex (l’acteur Eamon Farren), la trentaine, débarque ou revient à Brooklyn depuis l’Ohio (759 kilomètres). Il vient habiter chez sa grand-mère russe ashkénaze, Olga (l’actrice, Lynn Cohen).
Alex est un élan des cœurs et aussi un jeune homme sans carrière. La dope et l’alcool ont jusqu’alors été ses accessoires principaux. Ses conquêtes féminines ont été ses plus grands succès.
Alex veut repartir du bon pied. Aux Etats-Unis, pays des Libertés, tout est possible pour celle ou celui qui est volontaire et travailleur.
Un de ses oncles, pour rendre service à sa mère, lui offre de travailler dans sa boucherie. Un emploi exigeant et dangereux : C’est un métier physique où on ne compte pas les heures. Un crochet de boucherie pèse 30 kilos et peut casser un pied.
Alex accepte aussi d’assister sa grand-mère Olga en complément d’Olivia (l’actrice, scénariste, monteuse et réalisatrice, Isabel Sandoval). Alex n’a jamais été aide-soignant ou aidant pour qui que ce soit. Il s’agit donc d’une première pour lui également de ce côté- là.
Autant Alex est assez friable et immature, autant Olivia est plus âgée et plus stable.
Olivia est originaire des Philippines. (Philippines/ Brooklyn : 13831, 50 kilomètres). C’est elle qui, au début du film, rassure Olga dans une scène assez drôle en lui disant qu’elle est bien chez elle. En lieu sûr. La générosité est aussi un des traits d’Olivia.
Mais les Etats-Unis est ici le pays où l’on fait passer l’Administration, le Dollar, la roulette russe et la boucherie avant la générosité.
Et même si la réalisatrice Isabelle Sandoval n’en parle pas directement dans son film, les Etats-Unis est aussi le pays des armes : Le plus grand budget militaire du monde avec 685 milliards de dollars loin devant la Chine “du” Coronarovirus avec 181 milliards (Source : Le Canard Enchaîné numéro 5180 de ce mercredi 19 février 2020). Les armes aussi passent avant la générosité.
Aussi, lorsqu’Olivia et Alex s’envoient sur la Lune (distance entre la Terre et la Lune : entre 350 000 et 405 000 kilomètres), on pourrait donc d’abord se dire que leur vie va décoller. Mais Brooklyn Secret, comme tout secret, est double et parfois triple.
La solitude est le passeport de tous dans ce film. Car il est impossible d’être véritablement chez soi lorsque l’on est seul et sans protection. Olga ne sort pas de chez elle. Alex, à l’extérieur, est un sans-abri devant une mauvaise expérience ou une mauvaise conduite. Et, Olivia, lorsqu’elle est dehors, est en sursis comme une patiente condamnée. On découvre d’ailleurs pendant son histoire « d’amour » avec Alex comme elle vit à l’étouffée. Plutôt que de la fortifier, cette histoire la fragmente entre son passé d’homme et sa présence de femme. L’orgasme qui la fait renaître et reprendre souffle aurait dû être une victoire. Mais il est aussi ce qui la diminue dans un corps d’immigrée que l’on peut sacrifier.
Alors qu’elle est à la merci d’Alex, organiquement et administrativement, celui-ci reste conditionné par ses réflexes d’avant : ceux d’un joueur et d’un séducteur qui ne sait pas s’arrêter. Ceux d’un enfant provisoirement dominant qui croit pouvoir tout contrôler, tout se permettre et tout réparer de façon magique. Ce n’est pas un méchant garçon. Mais la mèche du temps qui guide Olivia a déjà opéré sa transition. Et Alex n’est pas le sauveur espéré.
J’ai beaucoup moins aimé le personnage d’Olivia, alors qu’il « flotte », et s’en remet à Alex. Mais on comprend assez facilement qu’elle tente sa chance avec lui. D’autant que l’église où elle se retrouve parfois avec sa sœur Trixia est une braise vide.
Peut-être aussi que, tout comme le personnage d’Alex, je suis également incapable de transformer ma pensée concernant le sujet et la question du genre.
Le sujet et la question du genre (puisqu’Isabel Sandoval s’appelait Vincent auparavant) hormis lors de quelques allusions, arrive au premier plan surtout à partir de l’histoire d’amour avec Alex. Avant cela, pour moi, Olivia était une femme et point final. Et il est étonnant de voir comme, selon l’angle de la caméra et aussi selon les émotions d’Olivia, lorsque l’étau se resserre concernant sa situation d’immigrée clandestine qui peut, à tout moment, se faire expulser, celle-ci peut avoir un visage plus masculin.
Du fait de l’évocation des Philippines, Brooklyn Secret peut rappeler les films de Brillante Mendoza. Mais il m’a d’abord rappelé Maria, pleine de grâce ( réalisé en 2003 par Joshua Marston) avant de me faire penser à https://urbantrackz.fr/videotape/cinema/port-authority/ .
Brooklyn Secret sortira dans les salles le 18 Mars 2020.