À ses débuts, Jul était incompris. Lorsqu’il dévoile « Dans ma paranoïa », avec son style si particulier, il connaît un succès immédiat dans les charts. Pourtant, les gardiens du temple du rap français (la génération précédente) ont du mal à adouber ce style proche du raï, dansant et ambiancé, qui n’a pas grand-chose à voir avec le rap piano et violon des années 1990. Dans l’une de ses premières interviews chez Clique, Mouloud Achour, en racontant l’une de ses anecdotes de vacances, parle du style de Jul comme de « sons à la Jul ». Quinze ans après, il n’y aura pas de meilleure définition de ce style très populaire. Adulé, incompris, parfois haï, le rappeur marseillais est en tout cas l’artiste ayant vendu le plus de disques dans l’histoire récente du rap français depuis 2019.
@hell_sinky @juldetp ♬ son original – Hell Sinky
Un exemple de cette méfiance à l’égard du rappeur marseillais : Akhénaton, l’un des plus grands rappeurs français à ce jour et aussi le fondateur du rap à Marseille, avait confié dans une interview chez Konbini au début de la carrière de Jul qu’il lui préférait sans doute « L’Entourage ». L’utilisation de l’autotune provoquait chez Akhénaton une allergie commune à l’ensemble des artistes de l’âge d’or du rap français. Booba, quant à lui, s’amusera de cette réticence du milieu envers ce procédé introduit dans la musique par Cher : « Avec 0.9, ils critiquaient mais ont tous saigné l’autotune. » Effectivement, l’album « 0.9 » avait connu un succès mesuré à l’époque, alors que Booba y expérimentait un usage de l’autotune déjà très populaire aux États-Unis.
Mais Jul, qui a prouvé à maintes reprises dans ses sessions chez Planète Rap qu’il « sait kicker », a continué à développer son style. Ce style de « sons à la Jul » s’est même totalement affranchi de son créateur. Dès le départ, des rappeurs comme Naps l’ont suivi. Ce style s’est imposé dans toute l’Europe, comme Jul l’a confié quelques années plus tard dans une autre émission de Clique : « J’ai reconnu mon style jusqu’en Suède. » Oui, Jul est le rappeur le plus « bankable » du rap français, car, à l’instar des « deux frères » de PNL, il a inventé, imposé puis généralisé un style !
La sortie de « 13 Organisé » est une étape importante dans la carrière de Jul. Pour la première fois depuis l’incroyable bande originale de « Taxi », tout le rap de Marseille est réuni sous une même bannière, à l’exception de quelques figures qui ont refusé d’y participer pour diverses raisons d’ego. Surtout, l’artiste parvient à réunir les rappeurs d’aujourd’hui, les jeunes rookies et les grandes stars comme Kofs, Soso Maness et SCH, mais aussi la vieille garde comme IAM et la FF, sans oublier la rebelle Keny Arkana. Pour Jul, c’est bien plus qu’un accomplissement : c’est une réconciliation avec les fondateurs du rap marseillais. Non, Jul n’a pas trahi le testament de ses ancêtres. Ainsi, Jul et Akhénaton participent ensemble au titre « Je suis Marseille ». De passage chez BFM TV, Akhénaton a précisé qu’il avait accepté de participer à « Je suis Marseille » sous une seule condition : « l’absence d’autotune ». Une condition acceptée par Jul, qui, par ailleurs, livre une performance exceptionnelle sur le morceau.
Mais reconnaissez-vous ce petit air dans « Je suis Marseille » ? Pour les aficionados de rap marseillais, c’est assez évident. Le sample du morceau provient de « Marseille La Nuit », l’un des titres phares de la première bande originale de « Taxi », qu’on devrait sans doute rééditer en vinyle tant elle incarne la génération dorée du rap marseillais. Petit retour en arrière avec ce départ tonitruant de Shurik’n : « Notre Dame veille… »