Je suis à l’Est ! , livre paru en 2012, a été écrit par Josef Schovanec ( avec Caroline Glorion).
J’ai pris du temps à lire ce livre. Peut-être parce-que Josef Schovanec, comme toutes les personnes que l’on ne prend pas le temps d’écouter, avait beaucoup à dire. Ou peut-être parce-que dans la vie ordinaire, aimanté par l’affiche d’un nouveau film ( avant ces histoires de reconfinement et de covid) ou par un de mes écrans, j’ai plusieurs fois laissé un Josef Schovanec de côté.
De toute façon, en tant que professionnel de la santé, ce genre de livre nous donne une tape derrière la tête. Parce-que, cette fois, celui qui fait autorité en matière de connaissances et d’expériences, c’est le patient ou la victime qui a écrit le livre dont je vais vous parler. Et, là, je ne peux qu’écouter, réfléchir et lire puisqu’il s’agit d’un témoignage, celui de Josef Schovanec. Je ne peux pas témoigner à la place de Josef Schovanec. Si je m’étais senti capable de témoigner à sa place, je me serais dispensé de lire son Je suis à l’Est !
Et puis, je ne me fais assez peu d’illusions : à l’école maternelle où les ennuis de Josef Schovanec ont débuté, je l’aurais ignoré. J’aurais préféré jouer avec les copains, taper dans une balle de tennis ou un ballon de foot. Peut-être, mais ce n’est même pas sûr, me serais-je abstenu de faire partie de ceux qui se seraient amusés à le tirer comme un lapin avec le ballon de foot ou un autre projectile improvisé, reflet de ces pensées de reptile qui nous animent par moments tout civilisés que nous prétendons être devant nos victimes. Car nous nous transformons vite en barbares dès que nous sommes en meute.
Mais ce qui est bien avec Josef Schovanec, c’est qu’il est généreux :
A peu près tout le monde en prend pour son curriculum dans son livre. Le système scolaire et éducatif français et occidental ; la société et ses rituels relationnels inadaptés ; les psychanalystes et psychiatres à but lucratif qui ont su le raccourcir- heureusement, les effets ont été réversibles- à coups d’antipsychotiques ; certaines et certains anciens camarades de sciences Po pompeurs de ses cours hier, grandes vedettes médiatiques aussi pomponnées qu’amnésiques aujourd’hui ; les associations qu’il a pu fréquenter ou qui ont donné des conférences ; son exposition médiatique.
Avec sarcasme et humour, Josef Schovanec nous raconte une partie de son parcours personnel. Muet jusqu’à ses six ans, mais habile avec l’astronomie, l’écriture et l’Egypte antique, il a su se frayer un « destin » grâce à la pugnacité et à la ruse de ses parents. Mais aussi grâce à sa résistance. Car ses mésaventures morales, fonctionnelles et physiques ressemblent beaucoup à celles d’un supplicié.
Josef Schovanec, c’est aujourd’hui 1m95 d’autisme qui nous « parle », à nous les gens normaux. Mais c’est aussi un homme multi-diplômé, Docteur en philosophie, plusieurs fois polyglotte et grand voyageur. D’ailleurs, il insiste pour ne pas être résumé à son autisme d’asperger qui a nécessité plusieurs années avant de finir par être diagnostiqué. Peut-être parce qu’à l’image de la schizophrénie, il y a différentes façons d’être autiste et différentes façons de le concevoir pour une personne extérieure.
Si Schovanec nous parle de nos travers, il nous parle aussi de certaines de ces personnes, devenues ses proches, qui ont su penser différemment en le rencontrant ou qui étaient elles-mêmes différentes et pourtant bien dans le coup. Tel Hamou Bouakkaz, Kabyle né en Algérie, aveugle, d’origine modeste, venu habiter à Bezons avec sa famille et qui a su , après de brillantes études dont une Maitrise en mathématiques, accéder au monde de la politique.
En lisant Je suis à l’Est ! de Schovanec, on comprend très vite que c’est plutôt, ou souvent, la majorité d’entre nous qui le sommes. Mais comme nous sommes la majorité et que c’est elle qui impose souvent l’attitude générale, nous restons installés dans nos impasses de pensée même si celles-ci nous implantent un peu plus dans des blocs de béton.
Je trouve réconfortant, alors que nous vivons cette deuxième vague du Covid et un second confinement plutôt déprimant, de pouvoir trouver dans ce livre de quoi se sentir un peu plus léger. On peut bien-sûr se sentir assez peu fier de soi quant à nos préjugés devant certains « handicaps », mais on peut aussi s’estimer finalement bien plus avantagé que ce que l’on croit. A condition d’être doté de quelques uns des atouts ou des qualités que Schovanec a, pour lui, de toute évidence :
1) La curiosité
2) Le courage : il n’a attendu personne pour s’intéresser à certains sujets, astronomie, Egypte des pharaons, langues ou autres. Et, il ne s’est pas préoccupé de savoir si c’était bizarre ou non de s’intéresser à ces sujets alors que la majorité des enfants de son âge avaient d’autres intérêts.
3) La constance ou la persévérance : Il ne s’est pas contenté de lire un ou deux ouvrages. Puisque le sujet l’intéressait, il a continué tant qu’il a pu trouver des informations sur ce qui lui plaisait d’apprendre.
4) L’humour et l’autodérision : on ne perçoit pas de haine, de colère, d’espoir ou de projet de revanche sur celles et ceux qui lui en ont fait baver lors des différentes étapes de sa vie. Il raconte en s’amusant avoir été pris pour un prêtre, un homosexuel…ou un agent secret.
Sans doute que son entourage familial (au moins sa mère et son père) plutôt aidant, plutôt cultivé et stable lui a permis d’exprimer ces aptitudes.
On pourrait se dire que Josef Schovanec a grandi dans un milieu social plutôt favorisé et dans des écoles plutôt réputées. Mais il explique dans son livre que les écoles réputées sont sans doute bien plus intolérantes que les autres puisqu’elles sont obsédées par leur réputation.
Vous ne connaissiez pas Josef Schovanec ? Moi, non plus. Pourtant, il a été vu et revu à un moment donné, sans doute comme un énième exemplaire de ces phénomènes de cirque autiste type Rain Man ou autre au cinéma. Il parle de cette période entre-autres dans cette partie, page 231, et c’est là dessus que nous nous quitterons aujourd’hui :
« Aujourd’hui, tout ce pan de mon passé est terminé. Cela fait longtemps que les gens ne me reconnaissent plus dans la rue. Joie de la paix retrouvée ! Je n’ai plus aucune responsabilité officielle dans le monde associatif. Même si je continue, pour une durée encore indéterminée, à participer ponctuellement à tel ou tel événement – conférences, Cafés de l’association Asperger Amitié et autres. Compagnon de route, je chemine. En attendant le moment, impossible à prédire et pourtant inévitable où, soudain, brutalement, les rails qui filaient en parallèle s’écarteront et où, vu du train, je perdrai de vue en quelques secondes ceux qui furent longtemps à mes côtés ».
(Josef Schovanec dans Je suis à l’Est !)