Friday, November 22, 2024

Un autre regard- en deux actes- sur Les Misérables

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ZEZ
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C.E.O HELL SINKY, author, journalist, documentary

Acte 1

 J’ai vu ce matin, à la première séance, comme je me l’étais promis, le long métrage de Ladj Ly : Les Misérables. Je l’ai enfin vu. Je sais que l’ami Zez en a parlé avant moi sur UrbanTrackz et que ses articles sont bien plus attractifs que les miens. Oui, je le vois très bien au nombre de vues. On parie ? Sourire.

Après la séance, je me suis arrêté pour prendre en photo l’affiche du long métrage de Ladj Ly. Elle était entourée des affiches des films J’accuseJokerHors NormesLe Traitre, Le Mans 66.  Je n’y avais jamais pensé mais d’autres affiches de films  peuvent aussi parler d’un film dont elles entourent l’affiche.

Même si j’ai seulement vu Joker https://urbantrackz.fr/videotape/cinema/joker-lanti-elephant-man/ dans cette liste, les films J’accuseHors Normes et Joker par leurs titres et leurs sujets qualifient aussi très bien Les Misérables. Au dessus du titre, l’insigne honorable Festival de Cannes Prix du Jury était là pour attester de la valeur officielle du film.

Par ailleurs sur l’affiche de Les Misérables, on pouvait lire les constats élogieux de différents média supposés représenter à la fois la diversité et l’unanimité :

«  Un film coup de poing » ; «  Un film magistral » ;  «  Un électrochoc » ;   « Sensationnel » ; «  Un film universel ».

Ailleurs,  en première couverture d’un hebdomadaire qui avait titré «  Eddy de Pretto, un rappeur d’un nouveau genre », j’ai aussi pu lire «  Ladj Ly dynamite le cinéma ».

Ces compliments sincères sont bien-sûr très justifiés. Maintenant que j’ai vu Les Misérables,  je ferai également partie de la ronde de celles et ceux qui en diront beaucoup de bien. De toute façon, même avant de le voir, je  faisais déjà partie de cette ronde. J’avais eu de très bons échos.

J’avais aussi un très bon a priori sur Ladj Ly au vu du très peu de ce que je savais de lui. Je me rappelais qu’il avait coréalisé avec Stéphane de Freitas le documentaire A Voix haute : la force de la parole que j’avais vu et beaucoup aimé.

L’acteur Steve Tientcheu dans le rôle du “Maire”.

Dans Les Misérables, l’acteur  Steve Tientcheu tient le rôle du «  Maire ».  J’avais découvert l’acteur Steve Tientcheu à l’écran pour la première fois  dans le très bon documentaire La Mort de Danton (2011) d’Alice Diop. Je l’avais croisé lors du tournage de nuit du court-métrage Molii (2014) réalisé par Carine May, Mourad Boudaoud, Yassine Qnia et Hakim Zouhani. Puis, je l’avais revu dans le film Qui Vive ( 2014) de Marianne Tardieu.

Steve Tientcheu sera également dans le premier long métrage réalisé par Abdel Raouf Dafri ( scénariste de Un Prophète , Mesrine, Braquo ) :

Qu’un Sang impur… réalisé par Abdel Raouf Dafri sortira le 22 janvier 2020.

Sur la gauche, l’acteur Damien Bonnard dans le rôle de “Stéphane”, à droite dans le rôle de “Gwada, “l’acteur Djibril Zonga. Au centre derrière, l’acteur Alexis Manenti dans le rôle de “Chris”.

Dans Les Misérables, l’acteur Damien Bonnard interprète le flic idéaliste qui arrive de Cherbourg mais sans le parapluie magique de Mary Poppins. J’avais véritablement remarqué l ‘acteur Damien Bonnard dans la comédie En Liberté (2017) de Pierre Salvadori  où il jouait aussi le rôle d’un flic mais beaucoup plus sentimental.

C’est tout. J’ai découvert tous les autres. Ces réminiscences prétentieuses sont insuffisantes à faire de moi un grand connaisseur de ce que raconte Ladj Ly dans Les Misérables.

Si je mettais un sous-titre à son film, cela serait  Training Day version BAC …et Le Monde est drône. Pour Training Day, on regardera bien-sûr du côté du film d’Antoine Fuqua avec la paire Denzel Washington/ Ethan Hawke. En regardant Les Misérables, j’ai aussi repensé au livre de Frédéric Ploquin La peur a changé de camp.

Ma réserve concernant tous ces éloges officiels à propos de Les Misérables vient du fait que je me méfie de l’effet  « selfie » et  « sapin de Noël »  qu’amènent le « succès » : 

A peu près tout le monde veut en être et salue le chef-d’œuvre. « Notre » Président de la République aurait été « touché » par le film. C’est sûrement sincère. On peut être libéral et humaniste. On peut étrangler quelqu’un et lui faire du bouche à bouche. 

On peut aussi vouloir rassembler et exterminer.  Ou discriminer.

Certaines élites (pas uniquement politiques) ont besoin de voir un film- quand elles le voient- pour découvrir et s’émouvoir devant une partie de leur pays. Pour d’abord schématiser, Les Misérables, cinéma de proximité, parle de manière documentaire au grand public de certaines banlieues et d’une certaine société française. Il sera peut-être nécessaire que l’équivalent d’un Ladj Ly, féminin ou masculin, réalise un film- en 3D- avec le même succès critique et public sur les conditions de vie et de travail dans les hôpitaux et les écoles publiques pour que, là, aussi,  des élites politiques, et les autres élites, se déclarent « touchées » et « émues ».

 Je me méfie donc du fait qu’une fois le nouvel An arrivé, on range le sapin, les guirlandes et que, à nouveau, chacun referme sa fenêtre ou l’œilleton de sa porte d’entrée ou de son téléviseur et reste finalement solidaire de ses foyers et de sa née cécité.

Je me méfie du fait qu’ensuite, il soit attendu de Ladj Ly – et également reproché- qu’il réalise un Les Misérables 2 puis 3, puis 4, puis  comme certains de ces films à « succès » : les Taxi, les Fast and Furious par exemple. Nous voilà maintenant pas si loin du sujet du film Le Man 66. J’avais bien dit que, parfois, les autres affiches environnantes peuvent parler du film qu’elles entourent. 

Mais la très bonne nouvelle est qu’au vu du cinéma que reflète Les Misérables et le CV de Ladj Ly, je suis confiant dans sa capacité à nous surprendre. Ladj Ly continuera de tracer son sillon. C’est un saphir qui restera libre. Il ne sera pas un phénomène de cirque qui retournera dans sa cage tel le lionceau dans le film. Il retournera plutôt la cage vers nous comme il le fait très bien- en moins d’une heure cinquante !- dans Les Misérables

Ceci était l’introduction de mon article. Ou peut-être déjà un peu sa conclusion. 

Par compromis, je dirais donc qu’il s’agit de la première partie de ma critique du film Les Misérables de Ladj Ly. 

2ème acte :

La salle de cinéma était assez remplie pour cette première séance de 9h10. Je me demandais s’il y aurait du Rap dans Les Misérables, genre musical désormais le plus écouté en France chez les moins de 30-40 ans. Le film allait durer 1h43 (103 minutes).

Il n’avait pas encore commencé que je me demandais comment Ladj Ly était parvenu à dire autant en si peu de temps. La durée moyenne des films semble désormais lorgner vers les deux heures. Si l’on pense à première vue au film La Haine de Kassovitz réalisé en 1995 (98 minutes) ou à Wesh Wesh de Rabah Ameur-Zaïmèche réalisé en 2001 ( 83 minutes), son Les Misérables peut sembler « long ». Mais il est plus court que L’Esquive (117 minutes) réalisé par Kechiche en 2004 et dont l’histoire, inspirée également d’un classique de la littérature française, est également transposé dans une cité d’’aujourd’hui. Lequel Kechiche,  par la suite, a contracté une sorte de « tumeur » de la longévité créatrice : son La Graine et le Mulet (2007) percutant ensuite les 151 minutes puis son La Vie d’Adèle (2013), les 179 minutes.

On comparera sûrement beaucoup Les Misérables à La Haine mais ce sera une limite grossière d’assigner le film de Ladj Ly au rôle de la « simple » poursuite du film La Haine vingt quatre ans plus tard. Même si les deux films ont des évidents…ronds-points communs. Car on pourrait aussi parler de Un Prophète  (2009, 155 minutes) et de Dheepan (2015, 115 minutes), deux films réalisés par Jacques Audiard que Ladj Ly a sûrement également vu et décortiqué parmi tant d’autres. 

Mais reparlons de son film qui a « obtenu » ou « reçu » «  le label des spectateurs UGC ».

Au centre, l’acteur Issa Perica dans le rôle d’Issa.

La première image de son film en couleurs est celle du jeune Issa sortant de son immeuble, recouvert du drapeau bleu, blanc, rouge de la France. Issa est content. Avec des copains de son âge, entre 13 et 15 ans, Issa part sur Paris fêter l’éventuelle victoire de l’équipe de France de Football lors de la finale de la coupe du Monde. La liesse engagée peut d’abord faire penser à celle de la France victorieuse en 1998 et c’est peut-être une astuce maline de Ladj Ly de nous le laisser croire. Mais dans cette image de joie, Ladj Ly délimite très vite le territoire de son cinéma :

Même si Issa et ses potes se rendent sur Paris et qu’on y voit des images joyeuses de la foule sur les Champs Elysées puis au Trocadéro, un plan de quelques secondes sur la gare Raincy-Montfermeil nous informe que l’histoire se déroulera là. Et non dans cette vie parisienne, plutôt bourgeoise et plutôt blanche, surreprésentée dans le cinéma français. 

La France gagne son match de Foot et l’on entend la Marseillaise. Et, toujours pas de Rap dans le film. On en entendra très peu. A la place, un titre me monte à la tête même si je ne l’entends pas au cours du film : il s’agit du titre Angel du groupe Massive Attack sorti en 1999. Il est vrai qu’Issa est mignon et a une tête d’ange. Depuis, j’ai lu que le prénom « Issa » a une origine hébraïque et arabe, qu’il signifie «  Dieu est généreux » et que c’est aussi le prénom de Jésus dans le Coran. Mais je ne le sais pas en regardant Les Misérables. Par contre, je « connais » l’aspect vénéneux et rampant du titre Angel. Il ne paie pas de mine au départ puis vous accroche à l’angoisse. 

Je « connais » aussi cette image d’un jeune qui a beaucoup aimé la France puis qui s’en est ensuite  violemment détourné : c’est celle du terroriste Mohamed Mérah dont j’ai appris que lors de la coupe de Monde de Football (de 1998 ?) il était fier de préférer la France à l’Algérie. Alors, d’une certaine façon, peut-être, je comprends que Les Misérables va nous raconter en partie comment une jeunesse peut passer de l’amour pour la France à son rejet pour tout ce qui peut à peu près la représenter. 

Bien-sûr, au début du film, devant tous ces gens contents sur les Champs-Elysées, on pense aux gilets jaunes. Car c’est « l’actualité » médiatique, chaque samedi, sur les Champs Elysées depuis un peu plus d’un an maintenant. Mais j’ai aussi pensé aux tirailleurs vidés en 1945 du défilé victorieux par le preux Général de Gaulle, l’inamovible référence historique de la fierté militaire et politique française, et dont la décision d’alors a implanté tellement de mal dans la société française. On dira peut-être que la société française – blanche- n’était alors pas prête à recevoir des soldats arabes et noirs et  à les voir marcher avec d’autres sur les Champs Elysées pour fêter la fin de la Seconde guerre mondiale et la défaite de l’Allemagne nazie (antisémite mais aussi raciste, homophobe et anti-communiste). La « mixité » était peut-être un projet de société plus difficile à mener qu’un combat militaire. 70 ans plus tard, on se retrouve à regarder un film comme Les Misérables sur grand écran.  Devant nous, des acteurs jouent les rôles possibles de ces hommes et de ces jeunes  qui ont été vidés du défilé victorieux de la patrie. Or, ils sont encore plein d’énergie et ont des projets. C’est là où intervient la BAC qui, dans Les Misérables, est le seul contact qui reste entre cette banlieue ignorée et la République. 

Il n’y a ni pit-bull ni éducateur de rue dans le film. C’est étonnant. On dirait que l’ère des pit-bull est passée de mode et que les derniers éducateurs sont partis sans avoir été remplacés par leur créateur. 

Dans cet écosystème que l’on retrouve aussi dans Do The Right Thing de Spike Lee (1989, 120 minutes) et dans La Cité de Dieu de Fernando Meirelles (2002, 130 minutes)  les trois flics de la BAC qui circulent  (deux blancs pour un noir), malgré leur « pouvoir »,  font aussi partie des misérables. On s’apercevra qu’ils sont aussi prisonniers d’une certaine misère et solitude personnelle, dans des registres différents, comme celles et ceux qu’ils « administrent » et qu’ils sont un « peu » les derniers à le savoir. 

Même si cela sert d’appui à l’histoire, on peut être surpris par l’évolution rapide du « rookie » interprété par l’acteur Damien Bonnard : même si l’expérience de terrain entraîne aussi le risque d’un excès d’assurance, elle apporte aussi un instinct et un savoir faire dont on s’étonne qu’ils s’expriment aussi rapidement chez le « nouveau venu ». C’est peut-être là où l’on peut voir du cinéma plutôt qu’une vérité documentaire de tous les instants dans Les Misérables ainsi que la persistance d’un espoir dans le regard de Ladj Ly. Ou son souhait que change rapidement la façon dont la BAC peut intervenir par exemple. 

L’acteur Almamy Kanoute dans le rôle de Salah.

Alternant humour, clins d’œil (le Ali Boumayé rappelle aussi bien le combat de boxe Ali/ Foreman que le documentaire When we were kings de Leon Gast, 1996, 89 minutes), points de vue, subtilités de langage, éloge d’une certaine folie protectrice (comme dans A Tombeau ouvert de Scorsese, 1999, 121 minutes), Les Misérables est un menu complet : 

Islamisme, mafias locales, parents abstraits ou usés, enfance livrée tel un kebab, prostitution, fascination pour le Free-fight (Venum), obsession du buzz et des réseaux sociaux, responsabilité de celle ou celui qui filme avec du matériel de professionnel dans un monde d(a)mateur et de collimateurs. 

Si on appréhende d’avoir du mal à digérer le film, on peut préférer aller voir La Reine des Neiges 2. C’est aussi sur grand écran. 

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