Tuesday, December 24, 2024

Selfie

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ZEZ
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C.E.O HELL SINKY, author, journalist, documentary

Après https://urbantrackz.fr/videotape/cinema/marche-avec-les-loups/Selfie, donc. Plusieurs milliers d’années d’évolution- et de massacres- afin de pouvoir continuer à nous consacrer avec de plus en plus de moyens à nos plus grandes idoles : 

Notre image et nos émotions. 

Il y avait plus de monde dans la salle de cinéma, à la  séance de 9 heures du matin, pour venir voir Selfie que Marche avec les loups. 

Nous étions à peu près quatre ou cinq pour Marche avec les loups dont un homme avec des bottes en caoutchouc. Et près d’une vingtaine ou plus, la veille à la même heure, pour Selfie

Les deux œuvres sorties le 15 janvier 2020 ont des attraits différents. D’un côté, avec Selfie, nous avons une comédie avec des personnalités que l’on aime bien ou que l’on découvre : Voir Blanche Gardin dans la bande annonce m’a tout de suite donné envie d’aller voir ce film. Mais le film a d’autres cartes à jouer avec Elza Zylberstein, Maxence Tual, Max Boublil, Manu Payet, Fanny Sidney (découverte dans la série Dix pour cent), Estéban, Finnegan Oldfield, Haroun, Sam Karmann, Marc Fraize  et d’autres qui me reprocheront peut-être – mais j’espère qu’ils arriveront à me le pardonner- de les « oublier » dans cette liste. 

D’un autre côté, dans Marche avec les loups, nous avons le film documentaire réalisé par Jean-Michel Bertrand, la soixantaine, pas sexy, peu connu,  sauf par quelques loups, des écologistes, des adeptes des documentaires animaliers, dont son précédent, ou par les quelques unes et quelques uns qui ont envie de le tirer comme un pigeon. On aurait mis comme titre Mike Horn part se battre avec des loups ou Rocky avec les Loups, cela aurait sûrement plus donné envie de venir. Mais, là, une marche avec des loups alors que l’industrie des trottinettes électriques, des vélos pliables et des engins motorisés personnels est en pleine croissance… Bien des spectateurs ont sans doute préféré éviter cette aventure même si, à mon avis, le film Selfie et le documentaire de Jean-Michel Bertrand ont bien des points communs. 

Pour le dire très grossièrement : les loups dont Jean-Michel Bertrand veut croiser le regard, au moins regardent-ils vraiment ce qui les environnent. Et ils sont aussi de moins implacables prédateurs que celles et ceux que nous engraissons et au devant desquels nous allons souvent volontairement en consommant. Peut-être parce-que consommer en tout genre- et payer pour cela- nous permet d’obtenir en échange un Savoir magique et une protection. Et comme les effets de ce Savoir et de cette protection ne durent pas, il nous faut consommer/acheter à nouveau ces éléments qui semblent nous permettre de les obtenir ou de nous en rapprocher. Ce besoin de Savoir et de protection et, aussi, de conquête, remonte bien chez l’être humain à l’époque des loups. A l’époque où l’être humain a dû apprendre à vivre et à survivre sur le territoire des loups ou d’un autre prédateur en chair et en os. Aujourd’hui, il existe par exemple des prédateurs numériques, économiques et industriels bien plus coriaces. Le documentaire de Jean-Michel Bertrand nous le dit dans une forme et un langage peut-être anciens qui ne parlent déjà plus à beaucoup d’entre nous. Mais la comédie Selfie nous le dit aussi d’une autre façon ainsi qu’avec une plus grande cruauté qu’on minimise comme à chaque fois que l’on rit et que l’on est capable de rire d’une tragédie. Parce-que tant que l’on peut rire, on a l’impression de garder encore un peu le contrôle sur ce qui nous échappe. Alors qu’il nous est tout de suite impossible de rire lorsque l’on rencontre un loup et d’ajouter :

«C’est bon, je contrôle ». 

Ajoutons à cela, presque au milieu de ces deux séances de cinéma …la mort de Kobe Bryant. Du basketteur américain Kobe Bryant que, bien-sûr, tout le monde « connaît », dans l’accident de cet hélicoptère qu’il pilotait à première vue.

Cette mort,  alors que Kobe Bryant était âgé de 40 ans et accompagné de sa fille de 13 ans,  a connu et connaît un très grand « retentissement » médiatique. Même le Président américain Donald Trump, plus « vertueux » pour la haine et les tweets belliqueux à tout propos s’en est « ému ».

Comme beaucoup de monde s’est déjà exprimé à propos de votre mort, Monsieur Kobe Bryant, j’aimerais, à mon tour, m’exprimer : 

Mourir à quarante ans, au départ, c’est très moche. Surtout aujourd’hui où l’on peut vivre jusqu’à 70 ou 80 ans si l’on sait éviter les selfies qui nous font le coup du lapin. A condition bien-sûr d’avoir la santé et une retraite décente afin d’éviter de devoir aller pointer à l’Armée du Salut ou de devoir partir pour aller faire la manche dans la rue où à  la sortie des magasins. Et, vous, Monsieur Kobe, après nous avoir tant fait rêver sur un parquet de basket, vous aviez tout ce qu’il fallait pour continuer d’avoir une vie de rêve. Une vie que nous aurions été nombreux à souhaiter avoir et que nous aurions consciencieusement peut-être fait connaître moyennant quelques selfies ou vidéos sur Youtube ou les réseaux sociaux à la façon de tant d’autres célébrités et personnalités que vous avez sûrement rencontrées et inspirées. 

 Mais, je souhaiterais que vous reveniez dunker au moins une fois pour nous refaire la démonstration suivante et mettre tout le monde d’accord sur un point :

Vous êtes mort trop vite et c’est très triste. Et je ne pense pas à votre fille de 13 ans dont la mort est tout aussi triste. D’abord, je pense à ces autres passagers qui sont morts avec vous et dont personne, apparemment, n’a rien à faire. Pour votre fille et vous, j’ai vu l’image d’une jolie fresque géante et souriante qui honore déja votre souvenir en attendant d’autres nombreux témoignages de « notre » très grande affection pour vous. On peut s’attendre à ce que des pélérinages  aient lieu à certains endroits où seront disposés des éléments de votre mémoire.

Par contre, en dehors de votre fille, pour celles et ceux qui étaient dans l’hélicoptère avec vous, rien ! Leur fait le plus mémorable sera de s’être écrasés avec vous mais on ne retiendra ni leur nom, ni leur visage, ni leur âge et ni leur histoire. Parce-que nous sommes comme ça, Monsieur Kobe Bryant, vous le savez bien.  On vous retiendra vous et votre fille. En cela, nous respecterons fidèlement, sans doute, ce que vous avez toujours voulu. Marquer l’Histoire. 

Ensuite, malheureusement, vous n’êtes ni le premier ni le dernier être humain  à mourir bêtement en dehors de votre domaine de prédilection où vous étiez un demi-dieu. Tel grand champion d’escalade à mains nues est ainsi mort en tombant dans les escaliers. Tel autre très grand alpiniste s’est tué lors d’une ascension « facile ». Les exemples sont nombreux. Vous pourrez en discuter avec ces personnes ainsi qu’avec quelques anonymes qui ont connu la même fin entre deux ou trois dunks que vous saurez, j’en suis sûr, faire admirer dans l’au-delà.

Dans Selfie, réalisé par cinq réalisateurs, le couple parental joué par Blanche Gardin et Maxence Tual est un corps perdu dans la recherche du nombre de vues. Il y a du Marina Foïs dans le personnage de Blanche Gardin. Je pense à la Marina Foïs du Le Grand Bain de Gilles Lellouche. Et au côté « limite » de leur jeu : elles peuvent toutes les deux dire et commettre des horreurs avec délicatesse, humour et innocence. Cela rappelle un peu le jeu de Marie Trintignant. Et l’affection que l’on peut avoir pour ces trois femmes et actrices. 

Face à Blanche Gardin, Maxence Tual est extraordinaire dans sa version 3.0 du raté lambda qui se croit artiste du réel. Et leurs trois mômes font partie du gros lot de Selfie

Cinq réalisateurs et autant de scénaristes, ça donne un film à sketches autour des réseaux sociaux et de l’omniprésence du numérique et de la technologie qui se sont substitués à notre pensée, nos connaissances et à nos intuitions. Les réseaux sociaux et les nouvelles technologies sont devenues les expériences ultimes. Celles pour lesquelles on est prêt à tout afin d’entrer dans leurs cases et critères. Pour en utiliser les pouvoirs et les Savoir magiques.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les nazis utilisaient de la pervitine pour être performants malgré le fait que les rats testés en laboratoire avec ce produit finissaient par se ronger les pattes ( article de Sorj Chalandon à propos du documentaire Hitler, blitzkrieg et drogues de Jason Sklaver ( Etats-Unis) dans Le Canard Enchaîné de ce mercredi 29 janvier). Dans Selfie, on bouffe des réseaux sociaux et des nouvelles technologies de façon illimitée jusqu’à en ronger tout notre environnement personnel et mental. 

«  Je désire qui, putain ?! » finit par se demander Manu Payet qui s’en remet à l’algorithme qui lui fait régulièrement des suggestions d’achat personnalisées.

Dans selfie , Le reste et les autres ne comptent plus vraiment. Ils font partie du décor. 

«  Les gens, c’est pas important ». «  19 millions de vues, c’est plus Qu’intouchables ».

Le film a ses chutes de tension. Vers la fin, ça ressemble aussi à l’agitation de rats dans un laboratoire. Mais entre-temps, on aura vu du monde tirer un portrait juste- même dans ses caricatures- et très drôle de notre époque. Bien-sûr, il y a une bonne quantité « de scènes et de répliques potentiellement cultes »

Selfie n’est pas un chef d’œuvre mais je crois que face à lui,  il existera trois grosses catégories de personnes :

Celles et ceux qui regretteront d’avoir été absents de son casting. Celles et ceux qui l’ont vu. Et celles et ceux qui ne l’ont pas (encore) vu. 

Même si je ne crois pas qu’il fera plus d’entrées Qu’intouchables.

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