Friday, March 14, 2025

Pascal Tessaud tourne “Dans la peau”, un film sur le Krump à Marseille

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C.E.O HELL SINKY, author, journalist, documentary

1. Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ? D’où viens-tu, quel est ton parcours avant de devenir réalisateur ? 

Salut, je suis Pascal Tessaud, réalisateur autodidacte et producteur de films. Je suis né à Paris mais j’ai grandi la majeure partie de ma vie en banlieue parisienne : Morsang sur Orge (91), La Celle St Cloud (78) et à Saint Denis (93). Après des études de lettres et cinéma à l’université Paris X Nanterre, je me suis lancé avec des courts métrages. Je réalise des clips de rap, des documentaires musicaux et deux longs métrages “Brooklyn” à Saint-Denis et cette année “Dans la peau” tourné à Marseille.

Pascal Tessaud – Réalisateur de “Brooklyn” et “Dans la peau”

2. Le cinéma est un milieu coûteux et souvent difficile d’accès pour les jeunes des quartiers populaires. Malgré la baisse du prix des caméras dans les années 2000, il reste un art élitiste. Comment as-tu réussi à t’y faire une place ? 

Je suis issu d’une famille ouvrière. Je n’avais aucun réseau, aucun contact dans le cinéma. J’ai rencontré sur mon chemin l’association Altermédia à Saint-Denis où j’y ai travaillé comme animateur pendant 3 ans. C’était un vivier de jeunes talents et un centre de formation qui faisait intervenir beaucoup de grands professionnels du cinéma : des cinéastes Bourlem Guerdjou“Vivre au Paradis”, Christophe Otzenberger “La Conquète de clichy”, Souad El Bouhati “Salam” césarisé etc. mais aussi de grands techniciens, des producteurs etc. C’est ici que j’ai pu rencontrer le producteur Didier Soubrier qui a produit mes deux premiers courts métrages “Noctambules” et “L’été de Noura” sans beaucoup de moyens, mais avec une belle caméra et une équipe de jeunes techniciens doués que j’avais rencontrée dans l’asso.

“Noctambules” – Premier court métrage de Pascal Tessaud (2003)

3. Ton premier long-métrage Brooklyn a été un projet ambitieux. Comment as-tu réussi à réunir les financements pour le produire à l’époque ? 

Ambitieux artistiquement oui ! Mais on l’a financé comme un court métrage autoproduit avec un tout petit budget de départ en mode Guérilla. On a utilisé des appareils photo de base Canon 1D et Canon 5D que j’avais utilisés pour faire des clips de rap pour Milk Coffee and Sugar et Nëggus. On était tous bénévoles, tous débutants. On a été soutenus par deux associations de Saint Denis, Le Café Culturel et les Enfants de la Dalle. Et on a demandé de l’aide à tous nos ami.e.s pour trouver des décors, des costumes, du matos de compléments, des voitures etc. Système D à fond ! Beaucoup de personnes nous ont aidé pour aller au bout du projet. On tournait 80 % du film dans les rues ! Grâce à la sélection du film au festival de Cannes à l’ACID, on a trouvé un distributeur UFO, des coproducteurs, un vendeur. Le studio Film Factory nous a permis de faire une post-production vraiment professionnelle. On a récupéré des subventions après le tournage, des locations à l’étranger dans beaucoup de festivals et on a lancé une campagne de crowdfunding avec KissKiss BankBank. Grâce à tout ces fonds réunis, on a pu payer toute l’équipe en contrat intermittents et déclarer les rappeurs et compositeurs à la Sacem et tous les payer. Soit 40 personnes en tout ! Une aventure amicale incroyable. On a fait descendre presque toute l’équipe de Saint Denis sur la Croisette pour découvrir le film dans une salle de cinéma pour la première fois. Une aventure folle !

Le tournage de “Brooklyn”, le premier long métrage de Pascal Tessaud

4. En Angleterre, il existe un vrai cinéma social avec des films comme Billy Elliot ou The Full Monty. On voit aussi des courts-métrages comme Waste qui abordent des thématiques populaires. Penses-tu que la France a raté ce virage social dans son cinéma ?

Contrairement à ce que l’on pense, il y a une vraie tradition de films sociaux en France. Il y a les anciens Jean Renoir, Jean Vigo et Duvivier. Mais il y a toujours eu des films sociaux de grande qualité. Je pense à la vague de banlieues des années 90/2000 : Rachid Bouchareb “Cheb”, Mehdi Charef “le thé au Harem d’Archimède”, “Marie-Line”, Malik Chibane “Hexagone”, “Douce France”, Jean François Richet “Etat des lieux”, “Ma 6T va cracker”Rabah Aimeur Zaimeche  “Wesh Wesh”, “Le Dernier maquis”, Karim Dridi “Pigalle”, “Bye Bye”, Bourlem Guerdjou “Vivre au Paradis”,Abdelatif Kechiche “L’Esquive”, “La Graine et le mulet”Alain Gomis “L’Afrance”, “Andalucia” mais aussi Robert Guédiguian“Dernier Eté”, “A la vie, à la mort” ,”L’argent fait le bonheur”, Patricia Mazuy “Travolta et moi”, Claude Chabrol “La Cérémonie”, Bertrand Tavernier “L627”, “L’Appât”, Agnès Merlet “le fils du requin”, Laurent Cantet “Ressources humaines”, Laurent Bouhnik“Select Hotel”, Cedric Kahn “Roberto Succo”, Erick Zonca “la Vie Rêvée des anges”, Sandrine Veysset “Y’aura t’il de la neige à Noël?” Claire Denis “S’en fout la mort”, “Nenette et Boni” “J’ai pas sommeil”, Dominique Cabrera “L’autre côté de la mer”, Ismaël Ferroukhi “Le Grand voyage”, Jean Marc Montout “Violence des échanges en milieu tempéré” etc. 

ANDALUCIA d’ALAIN GOMIS

La liste est longue et tous ces films m’ont marqué et inspiré fortement. Un cinéma d’auteur de personnes issues de milieu populaire pour la plupart. Alors bien sûr malgré des sélections à Berlin, Cannes ou Venise et des succès critiques, ce ne sont pas des cartons au Box Office mais il y avait une vraie tradition de faire émerger de nouveaux visages, de nouveaux récits, des espaces sociaux, des périphéries, des outsiders, des chômeurs, des paumés dans le cinéma français. On est dans l’héritage direct du Nouvel Hollywood des années 70 qui filmait le peuple américain dans la rue : je pense à William Friedkin, Martin Scorsese, John Cassavetes, Sydney Lumet, Abel Ferrara, Coppola, Brian de Palma. L’émergence d’un nouveau cinéma d’outsiders à la française correspondait à une ouverture de la société française qui voulait valoriser la diversité, les prolos, les galériens, les régions pour rompre avec l’entre-soi bourgeois de la Nouvelle Vague et sa filiation parisienne autocentrée. C’est aussi la grande période du cinéma social anglais avec les grands Ken Loach, Mike Leigh, Stephen Frears, Alan Clarke et Jim Sheridan qui filment les difficultés et la dignité de la classe ouvrière anglaise. Ces films sociaux provoquants ont atteint malgré tout le grand public. On a l’impression que le contexte politique international actuel, la grave crise politique française post-Covid font que les producteurs ne veulent plus prendre de risques et continuer dans cette voie-là. Les films qui marchent en salle sont le produit du star systèm qui attire un large public. On a l’impression qu’il n’y a plus d’intérêt des producteurs français d’aller sur le terrain social et filmer des undergods”comme on les nomme aux States, à part quelques trop rares exceptions “Sheherazade” de J.B Marlin“Divines” de Houda Benyamina“Les Misérables”, “Bâtiment 5” de Ladj Ly, “les Rascals” de Jimmy Laporal Trésor“le Gang du bois du temple” de Rabah Aimeur Zaimeche“La Gravité”de Cédric Ido. 

LE GANG DU BOIS DU TEMPLE de Rabah Aimeur Zaimeche

Il n’y pas beaucoup de films d’auteur français qui perpétuent cette tradition, et c’est triste ! Sortir sa caméra dans la rue comme le faisait le cinéma néo-réaliste italien, le cinéma anglais donc et comme le perpétue le cinéma afro-américain (et la liste est impressionnante) de Spike Lee BlacKkKlansman à Ryan Coogler “Fruit ValeStation” en passant par Ava Du Vernay “Selma”, “13th”, F. Gary Gray “NWA Straight outta Compton”, Melina Matsoukas “Queen & Slim”, Barry Jenkins “Moonlight”, Reinaldo Marcus Green “Monsters & Men”, Jordan Peele “Get out”, Qasim Basir “Mooz-lum”, “To Live and Die and Live”, Justin Siemen “Dear white people”, Merawi Gerima “Residue” etc. 

Peut être que le public ne veut plus se prendre le réel en pleine poire et favorise un rire salvateur ? Ce que je peux comprendre, le monde va mal certes et l’on a besoin de respirer au cinéma. Mais ce qui me dérange c’est que le cinéma d’auteur, qui est massivement financé par de l’argent public, ne respecte pas la diversité. Certains analystes anglais estiment qu’il n’y a que 7 % de personnes issues de la classe populaire qui est active dans les Arts et le cinéma. Combien de cinéastes français.e.s de classe populaire parviennent à la réalisation de long métrage ? Il y a un vrai barrage. On a l’impression que ça s’est durci en 10 ans, que le cinéma d’auteur est trusté exclusivement par la petite et la grande bourgeoisie, même les films et les séries à dimension sociale sont réalisés par des personnes bien nées, bien connectées, bien éduquées. Il y a une grande fermeture, un grand repli français, un manque terrible d’inclusion. Les années 2000 avaient vu émerger une génération spontanée de nouveaux cinéastes de banlieue ou de province d’origine modeste qui racontaient d’autres expériences de vie. Là, ça s’est clairement refermé et c’est déplorable.

5. Brooklyn a été bien accueilli par le public et sélectionné à l’ACID Festival à Cannes. Comment as-tu vécu ce succès et qu’a-t-il changé pour toi en tant que réalisateur ?

Justement ce que j’ai essayé de faire avec “Brooklyn”, c’est de faire à la fois un film grand public avec des personnages populaires et un film d’auteur complexe avec des partis pris artistiques radicaux et une exigence formelle. Comme si le public de banlieue était condamné à ne voir que des Blockbusters ou des comédies dans des multiplexes. Lorsque l’on voit des cinéastes anglais.e.s comme Andrea Arnold par exemple ou le cinéma new yorkais indépendant que j’ai découvert sur place, pourquoi ne pourrait-on pas proposer en France à un public varié des films d’auteurs singuliers sur des réalités sociales populaires ? Personne n’aurait osé financer mon film “Brooklyn” dans l’industrie sans casting de vedettes. Ce qui a touché le public français c’est justement la complexité des rapports et l’immersion dans le réel, avec la découverte de visages inconnus. Notre plus belle séance, c’est l’avant première à l’Ecran de Saint Denis devant 300 personnes de la ville qui n’étaient pas habituées à se voir à l’écran. Ça riait très fort ! L’enthousiasme, la surprise, le partage et l’ambiance électrique nous a montré qu’on était dans la bonne direction. Il y a un vrai manque de films d’auteurs indépendants issus de la réalité sociale populaire et de la diversité. Le public est prêt pour celà ! Mais ça bloque en haut dans les lieux des pouvoirs décisionnaires. 

6. Ce succès t’a-t-il facilité l’accès à des financements et à la production pour ton nouveau film, Dans la Peau ?

Pas du tout (rires) ! J’ai cru que ça me permettrait de mettre “un pied à l’étrier”. J’ai eu la possibilité de rencontrer une vingtaine de productions de cinéma, mais malgré l’enthousiasme sur mes qualités de réalisateur, personne n’a été intéressé pour produire “Dans la peau”. Ils se sont dits, on ne va pas gagner assez d’oseille avec ce film bizarroïde, mix de film de danse, de film social et de film d’amour. Ça ne rentrait pas dans les cases. Et moi ce qui m’amuse, justement, c’est de créer des passerelles, de l’inédit, de mélanger des inspirations différentes pour inventer d’autres manières de raconter des histoires. J’ai cru qu’avec “Brooklyn” j’avais démontré mes capacités à intéresser le public à des récits mineurs, à la marge de la société. Et les centaines de sélections en festival à l’étranger m’ont démontré que mon cinéma était local et universel. Mais voilà la séparation des mondes qui est en filigrane dans “Dans la peau” et qui est un sujet fondamental dans notre société, et bien ça, ça les dérangeait, allez savoir pourquoi ?

7. Le succès de Brooklyn était en partie lié à la popularité du rap. Le krump, bien que riche artistiquement, est moins connu du grand public. Penses-tu que ce choix pourrait t’éloigner de ton audience habituelle ? 

Je pense que le problème principal de ce milieu du 7ème Art est qu’il produit des films pour l’argent, pour le succès au Box Office. C’est obsessionnel. Ils ont “la recette” avec les gurus de l’écriture hollywoodienne et les analystes d’arches narratives qui se déploient dans toutes les équipes de développement et les workshops d’écriture. Une forme de conformité et de soumission au modèle dominant hollywoodien qui séduit le plus grand nombre de spectateurs. Cet uniformisme commercial a envahi les têtes des décideurs qui n’ont pas envie de contre-exemples, de contre-modèles et atomisent l’innovation et l’originalité. Si j’ai choisi de partir sur l’aventure de “Dans la peau” c’est que j’ai eu un gros coup de coeur pour cette danse libre, indépendante et radicale. Tous mes projets artistiques ont été déclenchés par des coups de coeur, par un instinct de faire les choses par nécessité viscérale et non par calcul ou cynisme commercial. 

KT Gorique Rappeuse et Actrice de Pascal Tessaud dans “Brooklyn”

8. Tu as un intérêt marqué pour la culture hip-hop. Brooklyn était lié à la musique rap, tandis que Dans Ma Peau s’intéresse au krump. Qu’est-ce qui t’attire dans ces disciplines ?

J’ai grandi avec le rap. J’y retrouvais des récits et des parcours qui me parlaient beaucoup plus que la littérature ou le cinéma français du centre ville ! J’essaye de faire des films vivants, contemporains, ancrés dans des problématiques de nos vies quotidiennes, de nos luttes. J’essaye de faire des films qui me sont toujours personnels et nécessaires. J’ai besoin d’avoir la foi en ce que j’écris. Contre vents et marées, j’ai mis plus de dix ans à écrire le scénario de ce film et je viens de le tourner. Au delà de filmer la danse Krump, je voulais suivre le parcours d’un artiste issu des périphéries et qui se construit dans l’adversité. Le personnage de Kaleem a grandi dans les Quartiers nord de Marseille. Il se nourrit de ses échecs, de ses problématiques intimes et concrètes, économiques, de la pression de son entourage pour exprimer en dansant son vécu, sa vérité. Le Krump peut paraître agressif et peut rebuter quelques spectateurs. Je pense que c’est LA danse la plus innovante et la plus créative de ce siècle.

 

9. Le rap est aujourd’hui la branche la plus populaire du hip-hop, à la fois en termes de succès et d’influence culturelle. Penses-tu que cette popularité a éloigné le rap de ses racines des années 80 et 90 ? 

Je crois que le rap est la musique la plus populaire non pas du hip hop mais de toute l’industrie musicale française et mondiale ! Ça vient de la rue et ça touche tout le monde, toutes les classes sociales désormais. Les labels établis détournent l’avion de la culture hip hop, de ses racines de protestation et d’exigence en choisissant des projets plus grand public, on limite le nombre de mots et on favorise les moods musicaux. Les nouveaux rappeurs deviennent des stars et gagnent vraiment de l’argent et je trouve cela très bien. Au delà du rap commercial et mega streamé, il y aura toujours un contre-feu indépendant, de la recherche, de l’écriture et du fond dans des nouvelles vagues underground non normées. J’attends de voir les nouveaux Kendrick Lamar, Eminem, J. Cole, Coast Contra , Asap Rocky, Roc Marciano et Griselda à la française !

 

10. Pourquoi avoir choisi le krump comme axe central de Dans la Peau ? Qu’est-ce qui t’a inspiré dans cette danse ? 

Le gros déclic, c’est la découverte du documentaire incroyable “Rize” de David LaChapelle, ça a lancé le mouvement dans le monde et en France en particulier. Je crois que je ne m’en suis toujours pas remis de ce film ! Lorsque j’ai tourné le clip “Gamberge” de Kt Gorique, j’ai fait appel à différents danseurs et danseuses de contemporain, capoeira et Krump. J’ai filmé Wolf que j’ai trouvé extraordinaire, c’est la rencontre avec lui qui a été le déclic de faire “Dans la peau” ensemble. J’ai commencé à écrire Dans la peau quand j’avais 19 ans : l’histoire d’un artiste banlieusard qui rencontre une parisienne avec cette barrière mentale entre la banlieue et Paris, les problèmes de communication, la peur de trahir son monde, de se perdre. Et là j’avais trouvé mon personnage qui correspondait parfaitement à ce que je cherchais, un passionné de la danse, un puriste et une personne complexe et vive qui allait montrer tout son potentiel pour la première fois devant une caméra.

 

11. En 2019, l’Opéra Bastille a accueilli Les Indes Galantes, une version réinterprétée où le krump était central. As-tu suivi cette initiative ? Qu’en penses-tu ?

Bien sûr, c’est remarquable. Un dialogue inédit entre un répertoire classique à dépoussiérer et une mise en lumière d’un art marginalisé qui apparaissait de façon officielle sur scène dans un lieu symbolique souvent inaccessible pour une certaine catégorie sociale. Le travail de Bintou Dembélé sur cette chorégraphie est magnifique. Wolf faisait partie de l’aventure tout comme Magali Duclos que j’avais déjà filmée en train de danser dans mon dernier court métrage “La Ville Lumière”.

12. Ton film raconte une histoire d’amour rappelant celle de Roméo et Juliette. Plusieurs réalisateurs, comme Tony Gatlif ou Baz Luhrmann (Roméo + Juliette, 1996), ont revisité ce récit intemporel. Selon toi, cet archétype amoureux restera-t-il éternellement pertinent ? 

Au delà de Roméo et Juliette, je trouve que le modèle absolu, c’est West Side Story. Je trouve que ce film est intemporel car c’est un film à grand spectacle, populaire, avec des chorégraphies démentielles mais c’est aussi un grand film politique qui aborde frontalement, à travers cette histoire d’amour entre des personnes de deux communautés différentes, les fractures raciales, sociales, le racisme systémique et la grande violence qui explose dans la société américaine. Avec l’arrivée de Trump au pouvoir, les américains risquent de traverser de nouveau de grandes fractures politiques. Mais en France, on n’est pas mieux lotis aujourd’hui. En inscrivant “Dans la peau” sur le territoire marseillais, je dépeins une histoire d’amour tiraillée au coeur d’une ville séparée en deux. Kaleem vient des Quartiers Nord et Marie des Quartiers Sud. J’avais envie de filmer la danse bien sûr, mais de montrer la source d’inspiration de Kaleem qui se nourrit de cette notion d’interdits, de frontières que l’on ressent très fortement à Marseille mais qu’on retrouve aussi à Lyon, Bordeaux, Toulouse, Paris, Strasbourg ou Lille. A travers une histoire intime et locale à Marseille, je questionne toute la société française dans ces fractures. Mais l’histoire d’amour n’est pas un prétexte, c’est le moteur de beaucoup de nos vies.

“DANS LA PEAU” réalisé par Pascal Tessaud avec Almaz Papatakis et Wilfried Blé ‘WOLF’

13. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’intégrer cette dimension romantique dans ton film ? Comment as-tu abordé cette dynamique dans un univers ancré dans la danse et le hip-hop ? 

Ce que j’ai cherché à faire dans ce film, c’est de raconter les problématiques complexes d’un artiste qui vient des Quartiers populaires. Comment se construit-on intimement ? Doit-il quitter les siens pour s’épanouir et vivre une culpabilité évidente ailleurs ? Doit-il refuser un certain confort et construire en restant dans son quartier ? Les questionnements de Kaleem, se sont aussi les miens. J’ai voulu exprimer certaines expériences amoureuses qui m’ont permis de quitter ma banlieue et de m’ouvrir au monde, mais aussi m’ont renvoyé des impasses de compréhension et des retours au réel éprouvants. Kaleem est un outsider, il se rapproche du Centre, mais comprend très rapidement que sa place est fragilisée et qu’il faut apprendre à se décentrer pour exister et enfin trouver enfin sa place dans son monde. Ses souffrances intimes nourrissent son art et vont amener Kaleem à sortir de sa zone de confort pour grandir et s’épanouir dans l’adversité.

“DANS LA PEAU” réalisé par Pascal Tessaud avec Almaz Papatakis et Wilfried Blé ‘WOLF’

14. Tu as une expérience en réalisation de clips musicaux, mais filmer la danse présente des défis spécifiques. As-tu trouvé plus difficile de capturer l’énergie du krump par rapport à tes précédents projets centrés sur la musique ? 

Dès mon premier court métrage“la Passion selon Ahmed” j’ai voulu filmer le mouvement de la danse, ici le breakdance. Du vrai bonheur. J’ai continué dans les documentaires “Mantes la jolie sur le Mic’ ” et “Paris 8, la fac hip hop” où j’ai filmé sur la scène du Battle of the year à Montpellier. J’avais filmé déjà la danse dans le court métrage “La ville lumière” et le clip “Gamberge”. Mais c’était des formats courts. Mon ambition depuis longtemps était de faire un projet plus ample, plus ambitieux. Un long métrage sur le krump, c’est un sacré challenge et j’aime l’adrénaline de faire des choses inédites, voire difficiles, que je n’ai jamais faites.

15. Comment as-tu travaillé la mise en scène et la chorégraphie des scènes de danse ? As-tu collaboré avec des danseurs ou des chorégraphes pour retranscrire au mieux l’essence du krump à l’écran ? 

J’ai laissé beaucoup de liberté aux danseurs du film. Pour les scènes de Kaleem, on s’est mis d’accord avec Wolf sur les morceaux et l’ordre des séquences. Je lui donnais des directives sur l’état émotionnel précis du personnage sur chaque séquence du scénario, après qu’on se soit mis d’accord sur ça, c’était à lui de proposer de façon instinctive sa propre interprétation, son feeling sur le mood de chaque séquence. La difficulté d’un long métrage de fiction est d’éviter des répétitions de filmage sur la danse. Avec le monteur Nicolas Milteau, on a réfléchi avant tout à l’état émotionnel du personnage. On ne pouvait pas faire un documentaire sur la danse, il fallait oser des partis pris stylistiques radicaux de mise en scène pour coller aux sentiments des personnages, en assumant le hors champ, en filmant chaque situation différemment d’une captation standard afin de ne pas perdre le spectateur en route et de rester connecter à ses pensées sur la longueur. Pour ce qui est du battle central du film, on a décidé avec Wolf des face à face, des musiques de passage, mais après ce qui m’intéressait ici c’est de chopper une vérité de l’affrontement en situation réelle de Battle avec la pression de la foule tout autour d’eux. Nous avons demandé aux krumpers de Marseille de participer à cette aventure et nous découvrons à l’écran la puissance de frappe de Mugen, Estelle, Rockshin, Clotilde, Simon, Kevin, Yulia et Llycos ce qui donne à la séquence une fièvre et une authenticité documentaire. On sent vraiment l’énergie d’un vrai battle de Krump, ce n’est pas fabriqué et il y a du coup un grand suspense. J’ai décidé de filmer ces scènes de danse dans leur durée pour plonger le spectateur en vraie immersion dans cet instant suspendu. Les retours des spectateurs sur cette séquence sont incroyables, le public vit la scène à la place des danseurs et c’est ce qu’on a essayé d’atteindre. Une vraie immersion dans un vrai battle de Krump.

“DANS LA PEAU” réalisé par Pascal Tessaud avec Almaz Papatakis et Wilfried Blé ‘WOLF’

16. Peux-tu nous parler des acteurs et des artistes qui t’ont accompagné dans ce projet ? Comment as-tu fait tes choix de casting ? 

J’ai commencé le casting par les rôles principaux, j’ai eu envie de faire faire des essais à Wolf et Almaz Papatakis, une rapeuse – chanteuse d’origine gréco-éthiopienne, que je connais bien et qui a une formation pro de comédienne mais qui n’avait pas de casting ou de rôles parce que “trop typée” et trop atypique, c’est d’ailleurs ce qui m’a plu chez elle, elle rentre dans aucune case, ce qui convient bien à la personnalité de Marie, une architecte transclasse d’origine grecque. 

Almaz Papatakis qui joue Marie dans DANS LA PEAU

A partir de là, on a constitué le casting sur Marseille autour de l’expérimentée et talentueuse Naky Sy Savané, Mombi du groupe de rap 3ème Oeil, Gérard Dubouche, Mohamed Adi, Daniel Saïd, ensuite j’ai lancé un grand casting interne au sein de l’association Ph’art et Balises avec qui je travaille depuis 4 ans et qui forme des jeunes de quartier aux techniques de jeu d’acteur. On a donné leur chance à des jeunes débutants : Amélie Hassani, Benji Mhoussini, Nathan Mehadjr, Abdel Djenaoui, Nassim Bouguezzi (qui fera plus tard “Pax Massilia”), Nassim Soltani. On a organisé avec Yasmina Er Rafass deux mois de workshops l’été où on a fait rencontrer toute l’équipe du film, et on a fait plein d’exercices de concentration, de respiration, de l’improvisation. On a répété avec intensité avec Wolf et Almaz et tous les autres. Notamment les danseurs de Krump marseillais Mugen, Rockshin, Estelle, Yulia, Simon, Kevin, tout en lançant les repérages à Marseille. On a été soutenus par Soly du Studio Musical School des B. Vice de la Savine qui nous a accueilli quelques jours pour tourner là bas et également l’association Les Bonnes mères qui nous ont trouvé des super décors. Donc à 95% le casting est marseillais, pareil pour l’équipe technique qui est constituée de très expérimentés chefs de poste et des beaucoup plus jeunes. C’était un cocktail original de grande expérience et beaucoup de fraîcheur et on a réussi à le faire dans une énergie incroyable!

Le tournage de “Dans la Peau” (2025)

17. Quel est ton lien avec Marseille et pourquoi filmer ici ?

Je fréquente Marseille depuis 2000. J’ai eu un coup de coeur pour la ville, direct. Moi qui avais fait Erasmus un an en Italie, j’ai eu un vrai flash. J’ai reconnu la même lumière qu’en Italie. Les gens vivent dehors, le côté latin, chaleureux m’a sauté aux yeux. J’ai travaillé ici avec l’antenne d’Altermédia Marseille en 2000, puis j’ai écrit un livre d’entretien avec l’immense cinéaste marseillais “Paul Carpita, Cinéaste franc tireur” en 2009. Marseille, c’est beaucoup de belles rencontres artistiques. En 2011, j’ai eu le bonheur de réaliser un documentaire sur la musique “Marseille” avec Akhenaton (IAM), Soprano, RED K, Carpe Diem, La Méthode, que des légendes du hip hop marseillais que j’écoute certains depuis mes 14 ans ! Je suis un inconditionnel du rap marseillais. J’ai eu la chance sur le film “Dans la peau” d’avoir dans la B.O original trois morceaux d’Imhotep, l’architecte musical légendaire d’IAM et des “Chroniques de mars” en duo avec le Beatmaker légendaire du Krump Mozarf et j’ai demandé un morceau au groupe 3 ème Oeil. Donc on a musicalement un enracinement fort dans la culture marseillaise. J’ai depuis réalisé un clip pour Relo, un grand talent du rap Marseillais. Pourquoi filmer à Marseille? Bah tout simplement parce que c’est la plus belle ville de France !

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