Au sein de l’Académie Moovida, Hannil Ghilas a réalisé le court métrage « Merlich Merlich » avec un collectif de quinze jeunes de l’association Ph’art et Balises, une comédie sociale authentique qui s’éloigne des clichés habituels sur les Quartiers Nord de Marseille, rencontre avec un jeune réalisateur en devenir.
Hannil Ghilas, qui es-tu ?
J’ai 18 ans, je viens des Quartiers Nord de Marseille. J’ai grandi toute mon enfance à la Cité de la Castellane, toute ma famille est là bas, la Bricarde, le plan d’Aou, beaucoup dans le 14ème, les Micocouliers, Sainte Marthe, 15ème et 16ème. La jeunesse a été un peu dure, pas trop accès à des activités, du coup on y va à la débrouille et il s’est passé plein de choses. J’ai perdu beaucoup de gens autour de moi, beaucoup d’amis sont morts. Avec tout ce qui s’est passé dans ma jeunesse, mes parents ont décidé de déménager ailleurs, mais par la suite, je suis revenu à la Castellane, j’ai tous mes collègues ici. J’essayais de m’en sortir dans le mauvais, mais j’ai fini par rencontrer de bonnes personnes sur ma route qui m’ont encouragé à m’éloigner de tout ça.
C’est quoi le déclic pour un jeune de la Castellane pour faire du théâtre?
J’ai rencontré dans un lycée, un homme qui s’appelle Jean-Jérôme Esposito, il faisait des ateliers de théâtre, ça m’a plu, une révélation. J’étais un peu pudique à l’idée de faire ça. Nous, on le faisait pas en tout cas et quand je dis nous, « les jeunes des quartiers Nord », mais faut se lancer dans ce que tu aimes et c’est lui qui par la suite à visser la chose et il m’a pris sous son aile dans son collectif à la Cité des Arts de la rue. Sur une année, j’ai pris des cours de théâtre avec lui, improvisation tout ça et à un moment donné, il m’a dit « tu es prêt, il faut que tu passes le conservatoire ! » (rires) Rien à perdre, je me suis lancé sans me dire que j’allais être pris, j’ai été accepté en passant sur scène avec le texte « Racailles » de Kery James en faisant de la boxe sous une forme théâtrale à l’âge de 16 ans. Et je l’ai eu du premier coup !
C’est super fort ! Félicitations ! Il y a beaucoup de jeunes des Quartiers au Conservatoire ?
(rires) Non, c’est en centre ville, près de Noailles. J’étais le seul maghrébin dans ma classe, le seul garçon pendant un an (rires) mais après, par la suite, ça s’est super bien passé. Je suis rentré dans une agence de comédiens pour faire des castings. Et du coup, c’est ce que j’ai fait, j’ai su avancer seul, me faire seul. J’ai même pas le bac !
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire le comédien ?
Quand j‘étais petit, j’ai vu « Titanic », un choc, je me suis dit : je veux devenir un acteur américain ! (rires), pas un acteur tout court. Mais plus sérieusement, le vrai déclic c’est mon premier tournage « Etat d’urgence » un téléfilm avec Olivia Ruiz sur France 2. J’ai kiffé, ça m’a donné espoir. J’ai encore plus travaillé par la suite.
Tu as joué récemment dans « Bac Nord » ?
Ouai, le premier film de cinéma, c’est spécial, j’étais hyper content et fier de participer à ce film avec un casting de fou. Après, chacun est libre de penser ce qu’il veut du film. Mais pour ma part, on reste confiant pour la suite.
C’est quoi tes références de cinéma ?
Quand j’étais petit, j’allais au Centre commercial Grand littoral, car je ne pouvais pas m’acheter les DVD, les Blue-ray tout ça, et bah moi je prenais les jaquettes de films, je lisais les résumés, les photos derrière (rires) mais ce qui m’a fait péter un câble, c’est le cinéma de Spike Lee, je me retrouvais dans sa manière de raconter les choses, de choquer le public, de surprendre sur des faits réels qui sont toujours d’actualité. « Do the right thing » avec la scène de Radio Raheem, on voit qu’avec Georges Floyd, 30 ans plus tard rien n’à changé. J’ai découvert « la Haine » à la télévision mais pas en entier. Je l’ai terminé en streaming (rires) C’était un choc émotionnel, dès le début avec la première phrase « Jusqu’ici tout va bien » tu sais que ça va mal finir. Ça c’est fort. J’étais axé sur le cinéma urbain, que du réel.
Comment tu as découvert Spike Lee ?
J’ai lu la biographie de Malcolm X à l’âge de 13 ans en anglais. Je voulais tellement partir de Marseille et de la France, j’étais passionné par les Etats unis, moins maintenant. Puis après j’ai vu le film avec Denzel Washington, très impressionnant. C’était la première fois que je pleurais devant un film, à 15 ans. C’est la scène quand il se fait tuer à la fin. Le jeu de Denzel est impressionnant, il joue le délinquant et le leader, comme deux personnages opposés. Le contraste ! J’étais tellement rentré dans ce personnage que j’étais dégoûté, j’ai lâché des larmes !
Tu as intégré l’association Ph’art et Balises cette année à Marseille, tu peux nous parler de cette structure ?
C’est mon cousin Wassim qui faisait déjà partie du groupe qui m’a présenté. J’ai rencontré le réalisateur Pascal Tessaud (Brooklyn) qui encadrait un projet de court métrage avec 15 jeunes venant de tout Marseille, c’est à dire Quartiers Nord, Quartiers Sud et Centre ville. Ecrire, produire et réaliser un court métrage. Du coup c’est ce qu’on a fait, on a écrit le scénario à 15. Dès que je suis rentré dans le groupe, il y avait une diversité que je voulais retrouver à Marseille. Ville où il y a beaucoup de communautés, mais chacune vit de leur côté. Et là ce groupe nous liait tous ensemble. C’est magnifique ! L’écoute, l’envie, la persévérance. Une ambition tellement folle que l’on y est arrivé jusqu’au bout.
C’est donc toi le réalisateur du projet ?
Oui, à la base, au début je faisais partie du projet d’écriture avec le groupe et ensuite chacun avait une fonction : comédiens, techniciens, régisseurs, déco, costumes etc. Yasmina Er Rafass et Pascal m’ont proposé de le réaliser. J’étais surpris. C’est pas forcément ce que je voulais faire moi ! C’était comédien à la base, c’est pas accessible d’ailleurs la réalisation pour nous, alors là je me suis dit : et pourquoi pas ? C’est une passion générale le cinéma pour moi, je me suis dit, je vais apprendre ça et du coup j’ai accepté ! Par la suite, Pascal m’a guidé sur tout le processus, la préparation, le découpage, le casting, les répétitions, revoir le scénario etc., j’ai travaillé ensuite avec le chef op expérimenté Jean-Christophe Gaudry. On a été encadrés jusqu’au tournage, c’était pour tous le test final, on a été formés toute l’année et là il fallait y aller avec une équipe de ouf. Des professionnels comme Matthias au son, Surya Gaye au costume, Elsa Michon comme première assistante réalisatrice pro, on a beaucoup appris avec ces professionnels qui nous ont transmis le métier. Tout le groupe a participé aux tâches, la régie, la prod etc. Ensuite, je suis monté ensuite à Paris au Studio Objectif Son pour travailler avec le monteur image Nicolas Milteau. C’est un Alien, un Ovni ce mec comme on dit chez nous! Une très belle aventure, on a kiffé ensemble, il lâche rien ! Il dort pas. Il m’a appris qu’il ne faut rien lâcher ! Chaque image compte, chaque seconde, chaque plan. Faut être sans pitié.
C’est quoi le pitch du film alors ?
Lors d’un deuil familial, Myriam et Karim des cousins d’origine comorienne se retrouvent à la Cité des Balustres dans le 13ème.
Ils prennent l‘air et Myriam abîme la voiture. Le ptit frère de Karim, Idriss est témoin de ça. Et là les problèmes vont arriver ! Et ça vrille en comédie. Le thème principal du film est l’éducation.
Tu peux nous parler du casting ?
De belles rencontres ! Sharon Tulloch, une artiste jamaïcaine, le rappeur Mombi de 3èmeOeil, Dj Rebel, deux légendes du rap marseillais, Naky Sy Savane, grande professionnelle, deux apprentis acteurs qui sont Karim et Choucourati qui jouent les rôles principaux et on a eu un petit ange qui nous est descendu du ciel Kyrian, qui a 5 ans. Nelly qui était apprentie chargée de la production nous a trouvé ce petit minot dans la rue, il dansant dans une vidéo, il faisait le pitre. On lui a fait passer des castings et ce petit dans sa tête il a 10 ans, c’est fou une maturité folle !
On était une quarantaine sur le tournage avec un tout petit budget. Malgré ça, on a réussi à nous défendre avec peu, en étant concentrés, organisés ; la persévérance a fait la différence, tout le monde voulait que ce film existe, ça se sentait toute la journée, il y avait une énergie qui nous tenait tous dans l’équipe.
Que penses tu de la représentation des Quartiers Nord de Marseille avec Chouf, Marseille, Bronx, Bac nord etc. ?
(rires) En ce moment on dit « Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour sauver Marseille ? » etc. Ces films malheureusement montrent que les mauvais côtés. ça incite nos petits frères à aller dans le mauvais. Ne montrer que ça de nos quartiers, ça fait mal ! C’est répétitif.
Nous, ce que l’on a voulu montrer c’est la réalité qu’on évite de montrer habituellement dans des films. Il y a trop d’enjeux commerciaux avec ce type de films, c’est un business juteux, ça attire beaucoup la nouvelle génération, ça touche un large public. Nous, ce que l’on a voulu montrer c’est l’aspect réel de nos quartiers, la solidarité, la bonne ambiance, le soleil, c’est une comédie sociale qui montre le 80% de bonheur qu’on a à Marseille dans nos quartiers qu’on ne voit jamais sur nos écrans. Il y a de l’amour. Ce cinéma humain n’est peut être pas assez commercial mais c’est ce que l’on vit, ce sont nos histoires vues de l’intérieur.
Pareil pour la représentation de l’Islam ?
Bah oui, C’est pas l’Islam de BFM (rires), dans « Merlich Merlich », on montre l’islam que pratique tout tonton ou tata. On a voulu montrer la simple réalité. On voit la famille faire la prière et la séquence d’après, tu as Choucourati qui enlève son voile, on est tous libres de faire ce qu’on veut. On montre le réel dans sa complexité. On a voulu montrer des sujets compliqués à écrire, on a su se surpasser en prenant le temps avec de très bonnes cervelles.
Beaucoup de jeunes des quartiers passent à la réalisation ici ?
Ça se bouge beaucoup en ce moment, on voit sur youtube de très beaux courts métrages sortir à Marseille, on est à fond sur les web séries : les « Dégains », « Camaro », « Deter », « Cappucino », « la dernière année » de Nawyr Haoussi Jones. il y a des jeunes aussi qui réalisent des putains de clips comme the One futur qui est ancré dans le rap marseillais, il a clipé Dadinho, Kalash Criminel, Alonzo, la Coza etc. Il y a beaucoup de clipeurs, Sabri le film, qui clipent beaucoup aussi. Quand j’étais au collège, y’avait pas d’ateliers cinéma, mais maintenant moi j’en donne dans les collèges aux Quartiers nord avec Ph’art et Balises ! Ça me fait hyper plaisir qu’il y ait ce changement qui s’opère avec les petits au niveau de la culture cinématographique et musicale, dans les quartiers où on ne laisse pas ces personnes dans l’abandon.
Tu as envie de continuer la réalisation ?
Oui. J’ai beaucoup appris sur « Merlich, Merlich » ! Une fois que tu mets le pied dedans, t’es foutu ! (rires) c’est comme une maladie, ça te ronge le cinéma, tu t’arrêtes plus ! Moi je suis hyper fier de ce qu’on a fait avec le groupe, on peut être fiers de nous et fiers de Marseille, fiers de ce qu’on est. Ce film vient à 100% de nous. Et ce film peut parler à tout le monde, même aux jeunes des campagnes, les gens qui galèrent. Ça me donne des nouvelles idées, ça fuse, j’écris beaucoup, je suis persévérant.
Qu’espérez-vous avec ce film ?
On espère qu’il ira loin, qu’on aura de la visibilité, pouvoir montrer ce film à un maximum de gens et que notre message d’espoir passe auprès des jeunes qui veulent s’en sortir.
Donne moi cinq films que tu conseillerais absolument ?
« Malcolm X » de Spike Lee, « La Haine » de Mathieu Kassovitz, « L’impasse » de Brian de Palma, « Wintersleep » de Nury Bilge Ceylan et « Cartouches Gauloises » de Mehdi Charef.