Quand avez-vous commencé la musique ?
Kiambu : On s’est rencontrés en partie dans une école d’Art à New York en 1992, Purchase University où des musiciens, danseurs, acteurs, des graffiti artistes se retrouvaient. On était jeunes, on a fondé un collectif au début des années 90, le Hip Hop explosait à NYC, On était tous connectés à la rue, on était très nombreux.
Siba : C’était un collectif, quatre rappeurs, deux DJ, un chanteur, d’autres rappeurs venaient, on avait aussi des musiciens live, je faisais de la batterie aussi.
Kiambu : Bien avant les Roots !
Siba : Exactement (rires) merci Kiambu !
Kiambu : On était des musiciens, on jouait des morceaux originaux sur scène
Siba : et on posait sur des instrumentaux de « Jump Around » (House of Pain), Pete Rock etc., dans des showcases locaux
D’où venez vous de New York ?
Von : moi je viens du Bronx, et j’ai des origines caribéennes, d’Antigua et Bermuda.
Kiambu : moi de Harlem, Uptown, Sugar Hill, 145th Street, mais aussi de toute la ville, j’ai grandi à Manhattan, j’ai bougé au Queens, dans le Bronx, on est de partout de New York.
Von : On est cosmopolitains !
Photo credit : David Medeiros
Siba : moi je suis né à Paris, d’une mère française et d’un père américain de New York, et je suis arrivé à NYC au milieu des années 80, j’ai découvert le Hip Hop avec ma mère Desdémone Bardin qui enseignait l’anglais à la fac hip hop de Paris 8 à Saint-Denis.
Elle utilisait les textes de rappeurs US. J’ai débarqué très jeune dans le Lower East Side, qui était loin d’être gentrifié à l’époque. C’était même la zone, la drogue était partout dans les rues, ça marque. Quand Von nous a rejoint à Purchase, c’est devenu sérieux. Avant on délirait sur scène sans plus, mais on a commencé à s’enregistrer. A la fin de l’année, l’école produisait un CD de tous genres de musique.
On a enregistré vers 1993 un titre avec 6 MC’s.
Vous avez grandi dans un contexte familial musical ?
Von : Oui, mon père jouait dans des groupes avant que je naisse, il avait deux studios, je fréquentais ça dès l’enfance, il jouait du reggae, du funk, RnB, il faisait de la guitare. J’ai grandi aussi avec du jazz dans les oreilles, puis le Hip Hop est arrivé de la rue.
J’ai exploré ma propre zone, j’ai commencé à faire du graffiti et à danser.
Et j’ai joué dans des groupes de rock.
Kiambu : c’est vrai qu’on a traversé tout ça, j’ai rencontré Siba au lycée, on s’est perdus de vus et on s’est retrouvés à la fac de Purchase. Mon père a étudié dans une école musicale, il jouait de plusieurs instruments, j’ai grandi dans cet environnement à Harlem. Il jouait de l’Afro-jazz, ma sœur jouait aussi, mon environnement c’était les arts mec. Mais le Hip Hop c’était différent, j’enregistrais sans arrêt des cassettes de ce qui sortait, Run DMC etc. sans arrêt, apprenant par cœur tous ces mots, je faisais du break dance dans ma chambre. Si tu voulais le faire, il suffisait de le faire, c’était plus accessible que le jazz par exemple, c’était fresh.
Siba : notre lycée « Music and Arts », c’était celui du film FAME, la sœur de Kiambu était, elle aussi, là dans la même classe que Slick Rick, Dana Dane et MC Serch du groupe Third Bass ! Tous ces gens étaient ensemble, des acteurs, Jennifer Anniston, il y avait aussi un département Arts visuels, Adrien Brody était dans la classe de Kiambu, on se connaissait tous.
Photo credit :Helen Cullen
Vous avez enregistré un premier Maxi « Here and now » en 1996 ?
Siba : Wu Tang est sorti en indé en 1992, 1993, c’était un groupe révolutionnaire, ils vendaient des CD dans la rue, des street albums, des mixtapes, et ils vendaient grave dans les shops mais aussi dans la rue. On a découvert ça. On s’est dit : on fait quoi ? Faisons pareil, on faisait des concerts, mais on s’est dit, on enregistre en indé avec 3000 dollars, on pourra faire presser notre maxi. On a récolté des thunes grâce à nos concerts, et on a pressé ce maxi en vinyle et cassette. Notre maxi a vraiment circulé sur la côte ouest, c’était la culture des DJ qui passaient des trucs underground, J-Rocc des Beta Junkies, DJ Numark (Jurassic Five) et même Mix Master Mike (qui deviendra un temps le DJ des Beastie Boys) passaient notre disque, La côte ouest nous a donné de l’amour.
Von : C’était l’ère des DJ, à Lower East Side, des clubs comme « The World », puis « 2 Eyes », accueillait ces soirées, des MC montaient sur scène, les Open Mics explosaient à New York, à l’époque de « Lyricist Lounge », New York était trop saturé de MC’s, tout le monde s’y mettait. A L.A notre nom à vraiment décollé, c’était l’air des collectifs de rap.
Siba : le DJ Truly Odd était celui de Everlast (House of Pain), il m’a chanté notre refrain Hi ! Hi ! (rires) il passait partout notre disque à L.A !
C’était fou car on l’avait fait de façon vraiment artisanale ! Même à Paris ça tournait, DJ Spank (B.O.S.S) le passait.
Jaeyez d’Afro Jazz m’a confié qu’ils montaient sur scène avec l’un de votre morceau !
Siba : J’avais vu une vidéo où on entendait notre maxi instru quand Afro Jazz montait sur scène oui, et j’ai découvert par hasard cette semaine que les Inrocks avait fait une critique dithyrambique de « Here and Now » ! Un label parisien nous a proposé un deal, Yellow Productions de Bob Sinclar, on a fait un EP de cinq morceaux avec eux.
Vous avez des noirs et des blancs dans votre groupe. Aux Etats Unis il est rare de voir des groupes de rap multiethniques, c’est plutôt séparé, d’un côté les Beasties Boys, Eminem, House of Pain, Third Bass et de l’autres des collectifs afro-américains, c’est le sens de votre nom de groupe ? Get Open ?
Von : Get Open, ça vient à la base des fêtes. (Rires) ça a commencé avec les filles.
Le groupe est né dans ce climat très multiculturel de Purchase, on était très mélangés, c’est ce qui fait notre particularité. Mes gars, ce sont mes gars !
Siba : On foutait le bordel à la fac, on délirait! Ouais we get open !
On s’amusait, on fumait, ca buvait. Get Open était notre ralliement, c’est comme ça que notre nom de groupe est né.
Von : On savait qu’on allait se faire critiquer en créant ce groupe de rap avec des blancs, mais la culture Hip Hop est pour les rebelles. Quand tu es Hip Hop, tu dois combattre le système, que tu sois un noir du ghetto ou un blanc en colère. Le Hip Hop est une Culture, c’est ouvert à tout le monde.
Photo credit : David Medeiros
Kiambu : ça n’appartient à personne, pas qu’aux noirs, il y a toujours eu des portoricains dans le mouvement, toujours.
Von : C’est un mouvement multiculturel depuis le début !
Siba : si tu vas dans le graffiti Il y avait beaucoup de blancs graffeurs depuis le début
Kiambu : Ouais depuis toujours
Von : La blague est que certains disent que les blancs n’étaient pas là, mais si, ils étaient là depuis le début ! On était tous là, le Hip Hop est inclusif. On était tous dans la même maison (rires) Le gars qui toyait le plus dans le Bronx, c’était un blanc (rires) il faisait peur à tout le monde ce con (rires)
Kiambu : c’est vrai qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de groupes multi-ethniques à New York, on était peu.
Von : Mais il y avait le délire du « Lyricist Lounge » en ville, tout le monde rappait.
Quelles étaient vos sources d’inspiration ?
Von : Notre référence absolue c’était le Wu Tang, car ils ont démarré en indé. Avant c’était un rêve impossible de signer directement en label, Tout le monde s’est dit Yo !
On peut le faire de nous mêmes sans attendre !
Siba : On est très sensibles aux lyrics, donc c’est aussi Melle Mel, Rakim, KRS One, Big Daddy Kane, Public Enemy, mais la plus grosse influence c’était le mood du Native Tongue : Jungle Brothers, A Tribe Called Quest, De La Soul, Beatnuts, mais aussi Dr Dre & Death Row, Devin The Dude, Kool Keith & Ultramagnetic MCs..
Kiambu : Pour nous le message est important. Et même si on aime délirer, faire la fête, il faut que ça soit toujours intelligent.
Siba : on a commencé à faire les premières parties de Jungle Brothers, KRS One, De La Soul, Special Ed, Dead Prez, The Alkohaliks etc.
Ça démarre très fort ! Donc vous avez ensuite signé un premier album ?
Siba : On s’est fait roulés dans la farine par le label Ubiquity records de San Francisco, notre album de 18 titres a été bloqué par ces fils de *^@#&. Ils ont financé l’album « Classic » mais ne sont jamais venus à New York pour nous voir enregistrer. Pour nous, on avait fait un classique. Ils ne voulaient que deux sons pour faire des remix. Ils n’aimaient pas notre travail.
Nous, on en était super fier. Donc notre premier album a été bloqué en 1998, il n’est jamais sorti. Et pas mal de membres de notre crew ont arrêté carrément. Ça a mis en péril notre collectif, alors qu’on avait le feu sacré. Dégoûtés, on a failli tout arrêter.
La moitié du groupe a lâché l’affaire à ce moment, moi j’ai continué à bosser pour Def Jam, j’étais l’assistant du directeur artistique.
Tu collaborais avec qui ?
Trigger The Gambler, frère de Smooth The Hustler, DV Alias Khryst, des gars de Brooklyn, East New York. Après, grâce a mon pote Dagan et notre boss à Def Jam, Dante Ross, j’ai produit des sons pour Everlast pour son album solo. On a fait triple disque de platine!
Après une longue parenthèse, vous revenez avec une Mixtape « BlackBook » en 2013, puis un deuxième album « The Week-End » en 2014 avec des collaborations avec Rob Swift, Imhotep et Akhenaton. Et là vous préparez aujourd’hui votre troisième album ?
Cover Art by Jerome Lagarrigue
Von : Oui l’album qui arrive est vraiment politique. C’est la vibe de tout le monde.
On parle de ça tout le temps. La musique c’est le mood et le mood actuellement est connecté avec ce qui se passe en Amérique en ce moment. Donc c’est naturel d’intégrer ces questionnements dans notre musique. Même si le concept originel du groupe est de s’amuser, là il est temps de réfléchir à la situation politique de notre pays.
Siba : Get Open, ça veut dire ouvrir son esprit, ouvrir son espace, une nouvelle culture, à créer ou à découvrir.
C’est quoi votre lien avec IAM?
Siba : Je fréquente depuis les années 90 mes amis d’IAM, notamment Imhotep et Akhenaton, ce sont des grands frères. On s’était rencontrés sur un plateau télé de « Ciel mon mardi » en 1991. Quand IAM a enregistré « l’école du Micro d’argent » à New York on s’est recaptés. Imhotep est venu à notre concert de fin d’année à Suny Purchase en 1996. Imhotep a fait le son de notre morceau « My City », on est restés en connexion, on s’échangeait des prods et un jour on récupère les instrus de l’album « Arts Martiens ».
Von : Moi j’écoutais en boucle ces sons, je kiffais trop et j’ai commencé à gratter des lyrics comme ça. Du coup, on a demandé à IAM l’autorisation de faire une mixtape de cet album. On a fait deux clips « Reason » et « 4,2,1 », ça a relancé le groupe.
Siba : C’est comme ça qu’est né la mixtape « IAM Open» en 2016. On a fait ensuite la première partie d’IAM à New York.
Kiambu : On a fait aussi des concerts à Londres, en Allemagne, en Espagne à San Sebastian, à Paris, Marseille et bien sûr aux Etats Unis dans le circuit des campus universitaires.
Votre troisième album à venir à l’air beaucoup plus sombre et grave, vous pouvez expliquer pourquoi ?
Kiambu : On a démarré avec une idée de départ. On est enfermé dans une boîte. On essaye de créer une histoire. Parler de ce qui se passe chez nous. Qu’est ce qui se passe ? On a quatre morceaux très politiques. L’amour est un autre thème de l’album. Les artistes ont toujours su refléter la réalité de qui se passe dans la rue à travers le monde.
Nous avons eu la chance de découvrir en exclusivité le clip réalisé par Nicolas Milteau « Tale Of The Tape ». C’est archi puissant et radical, dans la lignée du mouvement des Black Lives Matter
Von : Oui, on est très fiers du travail de Nicolas. On a écrit ce texte il y a deux ans, et il est tristement d’actualité. Nicolas a réussi à comprendre et à illustrer parfaitement notre état d’esprit et notre vision. « Tale Of The Tape » sera notre premier clip de l’album.
Kiambu : Trump critique le mouvement du Black Lives Matter, « vous ne croyez pas en l’Amérique ! Vous voulez remettre en question notre histoire ! » Non, ça a toujours été la même chose. On a écrit ce texte pour parler de ce sale état d’esprit.
Ce qui est super impressionnant, c’est comment la population afro-américaine résiste depuis des siècles à une telle violence et comment elle développe une créativité remarquable malgré tout. Elle crée la musique populaire la plus appréciée dans le monde.
Kiambu : oui c’est surprenant, j’y pensais dernièrement. Il y a beaucoup d’expressions. L’oppression te fait rayonner et combattre. Mais si on avait moins de « pieds sur nos cous », nous verrions émerger encore plus de grandes choses. C’est comme ça que la suprématie blanche fonctionne. Ils veulent nous mettre à terre. Avez vous peur de nous ? Pourquoi êtes vous toujours sur nos côtes? Vous pensez secrètement que nous sommes meilleurs ou plus forts que vous ? Pourquoi essayez vous si fort de nous abattre au sol?
Von : On a accumulé tellement de stress, on écrit ensemble sur ce contexte. Je vais réaliser un clip « Love » aussi. Un patchwork d’archives.
Autre exclu, vous avez aussi tourné un autre très beau clip « Where I’m From » réalisé par Pascal Tessaud ?
Von : Yo ! C’était ma meilleure expérience de tournage. C’était super sérieux, on a tourné dans le Bronx, tout dans les détails. Damn ! J’étais pas préparé mentalement à ça ! C’est une machine le mec ! (rires) C’est un hommage à notre musique, c’est super visuel, on a mis du temps à faire ces morceaux et on espère que les gens apprécieront notre démarche personnelle. On parle de nos parcours respectifs, de notre passion et notre amour pour cette musique qui nous a éloigné des conneries de la rue. Tout est à là sur l’écran.
Siba : c’est vraiment un bijou !
Vous avez un troisième clip en cours de tournage en ce moment encore par un frenchy Salim Hamzaoui ?
Von : Oui c’est « Fake News », c’est vraiment dramatique ce que l’on vit dans les médias actuellement. C’est très puissant. J’espère que les jeunes regarderont notre clip et réfléchirons à notre aliénation. Les médias sont en train de rendre folle la planète. Car cette dérive est mondiale. Comment les gouvernements malmènent le peuple partout dans le monde.
Siba : Salim est un réalisateur qui vient du Havre. Il est jeune, 21 ans. ça va être super intéressant sa vision de notre titre. J’ai hâte de découvrir ça, car il est lui aussi très talentueux.
Comment vous situez vous par rapport à l’évolution du Rap Game ?
Kiambu : On entend le même morceau six fois par jour à la radio. La cible se sont les ados. Nous, on ne vend pas des Guns et de la drogue. C’est ce qu’ils veulent entendre à la radio toute la journée. On a commencé à bâtir la culture Hip Hop, on a des choses à dire sur l’évolution de cette culture de résistance qui s’est vue complètement engloutir dans la société de consommation de masse.
Von : Ils veulent diffuser des morceaux similaires, tout se ressemble.
Kiambu : oui, il faut parler de personnes tuées par balle, le business de la drogue, c’est 90% du contenu des morceaux rap qui passent actuellement à la radio aux states… C’est pour ça que la machine…
Von : a gagné, le Hip Hop ne devrait pas être ça, c’est triste. Tout doit être similaire, comme à l’armée. Interchangeable. C’est la production de masse.
Siba : Notre premier morceau enregistré du prochain s’intitule « Can You Resist ? »
Kiambu : Le Hip Hop n’appartient plus au peuple. C’est pour ça qu’il faut s’éloigner des radios. Ça arrive organiquement. Les industriels essayent de contrôler tout ça. Mais la vie ne peut être contrôlée par les marchands, il y a quelque chose de naturel qui résiste à cette exploitation.
Quand sortira votre dernier album ?
Siba : On finalise quatre clips actuellement, on va travailler aussi avec l’artiste graphiste franco-camerounais Fred Ebami, hyper talentueux, sur la pochette de l’album. On espère sortir tout ça en octobre, on a vraiment hâte de faire découvrir tout ça à notre public ! Mais on va sortir avant la sortie notre premier clip « Tale of the Tape », grosse frappe réalisée par Nicolas Milteau.
(Dj Rob Swift) Photo credit : David Medeiros