La nouvelle est tombée en avril 2025 : Radio France prévoit d’arrêter la diffusion de Mouv’ sur la bande FM dès l’été, avec une transition vers un format 100 % numérique prévue pour juillet 2026. Une décision qui peut surprendre, quand on sait que le rap — et plus largement la musique urbaine — est depuis plusieurs années le genre musical le plus écouté en France. Mais derrière l’annonce, se cache une réalité plus complexe qui interroge autant sur la mission du service public que sur la place réelle accordée à la culture urbaine dans le paysage médiatique.
Une décision étonnante à première vue…
Depuis cinq ans, le rap domine les classements français, que ce soit en streaming, en ventes physiques ou en certifications. En 2024, les dix premières places du top Spotify France étaient occupées par des artistes issus de cette culture. Des figures comme Jul, Ninho, Gazo, Orelsan, Damso, PNL ou Nekfeu enchaînent les records. Le projet Apocalypse de Gazo, par exemple, a battu un record de démarrage avec 6,17 millions de streams en 24 heures sur Spotify France.
Dans ce contexte, la fin de la seule radio publique dédiée aux cultures urbaines peut sembler paradoxale.
… mais compréhensible à la lumière des chiffres
En réalité, les audiences de Mouv’ sont faibles depuis plusieurs années. Au premier trimestre 2025, la station affichait 0,5 % d’audience cumulée nationale, soit environ 276 000 auditeurs quotidiens. En Île-de-France, elle montait à 0,8 %, ce qui reste très inférieur à ses concurrentes directes.
Pour comparer :
- Skyrock compte 3,16 millions d’auditeurs par jour à l’échelle nationale et 4,6 % d’audience cumulée en Île-de-France.
- Générations, bien que diffusée uniquement en région parisienne, atteint 2,4 % d’audience cumulée avec une part d’audience de 1,4 %.
Ces chiffres illustrent une difficulté majeure pour Mouv’ : trouver son public, fidéliser, se positionner dans un paysage où d’autres radios, plus installées, captent déjà des segments précis.
Le paradoxe d’un média courageux
Mouv’ ne s’est jamais contentée de diffuser les têtes d’affiche du rap. Sa ligne éditoriale a toujours cherché à donner de la visibilité à des artistes émergents, des scènes locales, des projets parfois hors normes. Ce n’est pas un style musical en particulier que la station défendait, mais une vision inclusive de la culture urbaine, dans toute sa complexité.
À côté, Skyrock ou Générations adoptent d’autres stratégies éditoriales, tout aussi légitimes, avec un rapport différent au format, à la temporalité, à la fidélité d’audience. Skyrock, par exemple, donne la parole à des rappeurs en indé dans La Nocturne, tout en assurant une diffusion massive des têtes d’affiche. Ce sont des choix structurants, mais pas contradictoires : chaque radio remplit un rôle distinct dans l’écosystème du rap français.
Mouv’, de son côté, a voulu faire de la place à tout le monde. Dans un univers où certains sujets restent tabous ou peu abordés, Mouv’ a ouvert l’antenne à des discours marginaux, critiques, ou simplement différents. Ce positionnement n’a pas toujours payé en termes d’audience, mais il reste cohérent avec ce que l’on est en droit d’attendre d’un service public.
Service public vs logique privée : où est la frontière ?
Radio France justifie cette transformation par des contraintes budgétaires : en arrêtant la FM de Mouv’, le groupe espère économiser jusqu’à 6 millions d’euros par an. Une logique économique qui, sur le fond, pose question. Car si les médias publics existent, c’est justement pour s’affranchir de la logique d’audience et de rentabilité à court terme.
À l’image de ce qu’a été la création de France Info télévision sous Jospin, il s’agit de garantir un espace indépendant des pressions du marché, capable de porter des contenus que les structures privées n’ont ni intérêt ni vocation à produire. Supprimer Mouv’ de la FM, c’est abandonner ce principe dans le domaine des musiques urbaines.
Une marginalisation persistante du rap dans les médias traditionnels ?
Bien que dominant les écoutes, le rap reste peu représenté dans les médias généralistes. On commence à voir quelques sujets sur Jul ou Werenoi sur BFM TV ou France Info, mais cela reste rare et souvent maladroit. Quand le rap s’invite à la télévision, c’est le plus souvent dans un prisme sensationnaliste ou mal informé.
La grande messe médiatique ne prie jamais pour le rap, disait-on. Et aujourd’hui encore, même au sommet des écoutes, le genre reste périphérique dans les sphères institutionnelles. La disparition de Mouv’ de la FM, sans être un geste de censure, marque donc un recul net de la culture rap dans le service public radiophonique.
Conclusion : un choix budgétaire qui pose une question culturelle
Avec la disparition de Mouv’ sur la FM, Radio France fait un choix qui dépasse les chiffres d’audience. Ce n’est pas simplement la fermeture d’une antenne, mais le retrait d’un espace de parole, de représentation, et de diversité dans la culture populaire française.
Face à la montée en puissance des algorithmes, des plateformes privées, des logiques de viralité, le rôle du service public n’est-il pas plus que jamais de garantir des espaces pour ce qui n’est pas formaté, calibré ou “rentable” ? Mouv’ n’a peut-être pas “performé”, mais elle a incarné une idée du rap et des cultures urbaines que personne d’autre ne portait.