Ils font partie des mutants. « Ils » : ils et elles.
Ils sont les résidents de situations particulières. Dans la fourmilière en mouvement que peut être un pays, une localité ou une région, ou parfois un souvenir, ils sont celles et ceux qui voient, écoutent, touchent de près les transes et les errances tandis que d’autres peuvent se permettre de les ignorer, de débattre ou de déjeuner tranquillement à côté en terrasse, entre collègues, entre amis ou en famille.
Les mutants essaient de remédier à ce qu’ils voient, à ce qu’ils vivent, à ce qu’ils décodent de l’envers de ces personnes dont ils ont la charge. Chacune de ces personnes est à sa manière un SOS ambulant.
Certains SOS sont temporaires. D’autres sont des SOS permanents. SOS :
« Save our souls ».
Peu importe le contexte : crise, chômage, épidémie, confinement, déconfinement, montée des os, effondrement, conflits, suicides réels ou supposés, événements immédiats ou à venir. Quel que soit le régime alimentaire, religieux, ethnique ou politique, ils et elles seront présents et essaieront d’être des escortes de la vie jusqu’à la voir repartir. Même si, bien des fois, celle-ci restera enfermée dans des escaliers ou sera happée par le gravier.
Il en faut des pouvoirs pour, la mission terminée, malgré les collisions et les accidents de parcours, continuer à servir tout en ayant un comportement compatible avec la vie sociale.
Souvent, on dit d’eux qu’ils ont « la vocation ». C’est peut-être vrai. Mais c’est aussi plus pratique comme ça afin de parler de leur métier. Et aussi afin de pouvoir les juger lorsque leurs comportements déplairont. Le contraire de la « vocation » est la révocation. Et la révocation embroche sur l’opprobre et le bannissement :
Tant que tu es parfait(e), tu as la vocation. Dès que tu cesses de l’être, tu mérites le dégoût.
Ce serait trop facile de dire que l’on parle d’un métier ou d’une personne en particulier. De les borner avec un identifiant définitif afin, une fois encore, de boucler rapidement le sujet parce qu’on a d’autres choses à « faire ». Hé bien, on va faire aussi compliqué que la vie.
Ces mutants sont semblables à celles et ceux que l’on peut voir dans les comics, dans les films ou dans les séries :
Pourvus d’aptitudes particulières soit du fait d’une sensibilité ou d’une infirmité qui leur est propre ou d’un traumatisme connu ou ignoré d’eux, ces mutants sont tantôt recherchés, tantôt banalisés ou rejetés. Selon les humeurs et les besoins du pays, de la région, de la société, d’une période de vie ou d’une époque.
Ces mutants peuvent donc aussi être des migrants. Ce n’est pas étonnant.
Notre monde nous confronte à des frontières et des contrôles permanents. Des cookies qu’il faut accepter pour pouvoir lire un simple article sur un site, aux codes à passer ou à fournir pour entrer chez soi ou accéder à ses comptes bancaires. L’argent aussi est une frontière et un contrôle. Certains quartiers et certains milieux. Ainsi qu’un certain Savoir (où ses revers : la peur et l’ignorance) comme le fait de dépendre d’une pièce d’identité.
Certaines informations répétées, y compris par nos proches et par nous-mêmes, sont aussi des frontières et des contrôles. Certaines fois, nous réussissons à passer les frontières et les contrôles. D’autres fois, non.
Plusieurs fois par jour, on peut devenir un migrant et un mutant Et certaines personnes plus que d’autres. Nous sommes ainsi, mutants et migrants, ignorants aussi, expulsés régulièrement de notre horloge interne et passant une bonne partie de notre vie à courir après un badge qui nous ouvrira l’heure.
Certaines fois, il nous faudrait un bon marabout pour nous y retrouver. On l’a peut-être déjà croisé plusieurs fois, sous différentes formes, sauf que, pour nous, il sera d’abord classé comme individu suspect ou en situation irrégulière.