Thursday, December 19, 2024

Lieux communs du 15 août

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C.E.O HELL SINKY, author, journalist, documentary

    

Ce 15 août, il est entré dans le métro. Les deux titres qu’il a joués -et avait déjà probablement joués  des milliers de fois- n’étaient pas de lui.  En guise de préliminaires, des artistes avaient délimité le terrain plusieurs années auparavant. Peut être avant sa naissance et sa résistance.

C’était les chants fracturés de sa vie. Des wagons qu’il essayait peut-être encore de raccrocher. Et que j’ai aussitôt écoutés.

C’était la première fois que le voyais. La première fois que je l’entendais. Et sûrement aussi la dernière fois. C’est ce que je crois. Il nous faut souvent plusieurs fois pour bien nous rappeler d’un nom, d’un visage, d’un usage ou d’une rencontre.

Peut-être pour contrer ça, j’ai très vite sorti mon appareil photo.  J’aurais pu faire sans.  En écrivant. Mais je me rendais au travail. Il était peu fréquent que je passe par là. Et j’étais un peu en retard. Il me fallait une image. Une marge. D’autant plus que, comme lui avec ces deux titres, les mots de cet article, je les ai déjà employés des milliers de fois.

Je lui ai fait signe. Il m’a vu et m’a rapidement fait comprendre qu’il acceptait que je le prenne en photo. Je ne connais pas son nom, ni son âge ni  son histoire. Tout ce que je sais et ce que je vois, c’est comment il est « dressé » (« habillé »). Comment il est fait ; qu’il chante du Blues en Anglais ou en Américain et qu’il a la guitare appropriée.  Et en passant plus tard entre nous, après que je lui aie donné une pièce, il me donnera, en Anglais, les deux noms des artistes dont il a interprété les titres.

Je n’en saurai pas plus.  Et ça me suffira pour quelques minutes et davantage. ça m’apportera plus que ce que j’ai en commun avec des millions de gens. Cette partie de ma vie où je m’entraîne souvent à être un défunt plutôt qu’un être vivant.

Le Blues vient de l’Afrique. C’est ce que j’ai lu et entendu dire. Je n’ai pas l’impression que les deux noirs africains présents dans le métro pressentent une émotion particulière devant ce chanteur. Où alors ils sont très pudiques. La pudeur « africaine »….

Peut-être ces deux passagers africains ont-ils tout simplement dépassé la station du Blues depuis très longtemps. Car ils le vivent depuis tant d’agrégations que, pour eux, ça n’a plus rien d’exceptionnel. Alors que ça semble exceptionnel pour ce chanteur, blanc, qui a découvert le Blues « récemment ». 

Peut-être aussi que le Blues de ce 15 aout et dont nous parlons en occident est-il une invention de « Blanc occidental » ? Les restes bazardés du Blues originel. Un peu comme ce qu’il peut rester d’une création, d’une bizarrerie ou d’une particularité individuelle, linguistique ou culturelle brute après son industrialisation, son concassage, sa standardisation et sa commercialisation. Un échantillon.

Je crois me rappeler qu’au départ, le Blues était plutôt une musique peu convenable. Donc interdite sur les lieux officiels et publics, les jours d’affluence comme en plein jour. Comme le Gro-Ka.  Comme le Maloya. Comme le Rock ensuite. Puis comme le Rap. Comme toute forme et force d’expression identitaire et culturelle intestine qui dérange une norme et une forme de pensée militaire, économique, sociale et religieuse dominante.

Après l’administration du traitement de choc- ou de cheval- de l’industrialisation, du concassage, et de la commercialisation, on viendra ensuite déplorer que telle source, tel Art, telle culture ou telle personne a perdu son âme et s’est tarie. Qu’elle est devenue polluée ou insipide….

Peut-être que ces remarques sont  des conneries dominantes. Et qu’il suffit d’écouter avec ses oreilles sans chercher à faire pschitt et son show en jouant avec des « shit holes » : avec les trous à merde de certaines élucubrations.   

Plus qu’une opposition chronique et manichéenne entre noirs et blancs, et entre Occident et Afrique, cette anecdote avec ce chanteur de « métro » est à nouveau le constat de l’échec répété de certains aspects de notre « modernité » :

Les transports en commun sont un formidable et indiscutable moyen de déplacement. Internet et les réseaux sociaux font désormais partie de nos transports en commun.

Mais nous sommes souvent les marchandises et les prisonniers communs de nos transports en commun. 

Et nous sommes des marchandises et des prisonniers éblouis par des ailleurs qui sont sûrement assis à quelques mètres de nous. Mais nous ne les voyons pas. Nous ne les reconnaissons pas. Parce que nous avons d’autres connexions à faire.  Il n’est pas certain que même ce chanteur parti au bout de deux chansons pourtant calibrées pour s’évader s’en sorte mieux que nous :

On peut passer sa vie à être à l’heure à nos rendez-vous et, finalement, avoir néanmoins plusieurs trains ou plusieurs métros de retard.

Parfois, pour essayer de changer de vie et de boulons, certaines personnes décident de tout faire sauter. D’autres se jettent sur les rails. D’autres encore agressent physiquement et moralement d’autres personnes ou les volent. Il s’agit heureusement d’une minorité. Ça créé du changement chez certaines personnes. Mais ça créé aussi beaucoup de traumatismes qui pousseront peut-être d’autres personnes à vouloir ensuite tout faire sauter, se jeter sur les rails,  agresser et voler leur entourage…

Arrivé à ma station de métro, j’ai fait comme la plupart des gens. Je me suis descendu calmement dans un coin puis je suis allé travailler.

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