Le Thé dans l’âtre
« Nous irons boire du thé dans l’âtre » me dit cette ballerine. « Vous me direz vos lettres. Nous parlerons de l’Erythrée et irons dire bonjour à Gagarine. Où commence l’Homme et où finit-il ? » continue t’elle.
Sa voix soulève cette question plus qu’elle ne la pose. Son souffle a aussi cet effet sur ses seins-filtres. On dirait du papier. Je suis fait de ce papier qu’elle déchire un peu plus à chacune de ses respirations.
L’œil éclairé par l’ampoule rectale de Joséphine – c’est le prénom de cette spécialiste en saut poudré- je découvre ma longue vue alors que ses expirations étoffent la peau de mon cou. Lui croquer le cul, en prendre la mesure pour l’enterrer vivant dans un beau cercueil de mains et de pain. En faire du boudin. Eclabousser la figure et le cul-de-cette-fée-des-plaisirs. Devenir le multiple de sa chair et de sa bouche. Nous serons dix dans son Addis Abeba – Moi et mes neuf vits- à clamer la vie, quitte à en clamser, et à commémorer le retour du Négus.
« Le frigo, c’est toujours alors que je me couche qu’il fait des siennes. Avec ces hommes qui circulent dehors bruyamment dans leurs voitures et les enfants qui crient, j’ai du mal à me concentrer. Et toutes ces femmes qui me regardent au point que cela me met à l’aise. C’est à croire que je suis lesbienne ».
Laisser mon sexe prendre toute sa forme dans la glaise de sa bouche, fumer sa bouche d’ozone. La grimper, la camper, tente à cul. Et la regarder s’accrocher aux branches comme à ses branchies. En me disant que je tiens mon ange. Mais où se trouve son auréole ? Il faut que je me téléporte.
« Je suis passée Maitresse dans la résolution des énigmes de l’absence. Marcher, c’est souvent aller vers soi. Se faire mettre, c’est souvent prendre. L’Amour, c’est peut-être cette mémoire que l’autre est là. Que ce n’est pas juste un miroir mais aussi des larmes que l’on brise. Je n’ai pas de mémoire. Je suis juste au corps. Pour avoir de la mémoire, il faut perdre son corps. Le mien s’infiltre partout ».
Je suis chargé en accréditations testiculaires. Si je suis un homme de couleurs, ce n’est pas pour voir la vie en noir. Mais pour avoir la vie sauve alors que Joséphine fait danser mon regard sur ses lèvres. Lesquelles portent cet accent qui me la rendent plus détectable-délectable que n’importe quel maquillage.
« Mon visage est sans tain mais le Ska et le Gro-Ka y font naître des étoiles. J’aime les hommes au bord de l’explosion telles des locomotives qu’auditionne l’enfer. Et pour lesquels les séquelles du verre sur la tête n’est même pas un frein. Mais plutôt un refrain vers un lien. Leurs cicatrices sont ces alliances de chair qu’ils se sont faites pour s’unir à la vie. Elles ont pour moi bien plus de valeur que ces bagues de sympathie que l’on achète désormais à crédit dans des bijouteries. Mais de tels hommes n’existent plus. Soit ils ont le Sida. Soit ils s’affairent sur internet. Soit ils sont devenus fonctionnaires ou mariés – c’est pareil- soit ils préfèrent rester célibataires. Les hommes, maintenant, sont devenus des femmes ». Joséphine se met à pleurer puis crie sur un ton implorant :
« Les hommes ne veulent plus jouir ! ».
Elle reprend son souffle puis dit :
« Vous, par exemple, vous n’êtes pas mon genre. Baisez-moi si vous voulez. Bien et fort. Vous m’êtes de bonne compagnie. Comme le vent dans la voile, notre intimité dérapera et nous donnera l’occasion de croire en une sorte d’aventure. Mais cela restera périphérique. Nous n’irons nulle part ensemble. Comme pour la majorité des hommes, désormais, baiser une femme ne signifie pas qu’on lui prête plus d’importance qu’à une autre. Mais juste que, celle-là, on a pu la regarder d’un peu plus près. Baisez-moi, pesez-moi, débranchez-moi puis allez dormir ! Partez ensuite prendre votre train-train, votre navette ou votre omnibus nocturne de banlieue. Vous, les hommes, vous êtes doués pour le sommeil dès qu’on vous adore. C’est ce que l’on appelle le sommeil réparateur. Il faut vous donner des cauchemars pour vous maintenir attentifs et en éveil. Bien des femmes sont pauvres de ce côté-là ».
Quelques secondes passent. Puis Joséphine repart :
« Nous parlerons de l’Erythrée et de Gagarine une autre fois. C’est à dire, autrefois. Ne revenez-pas. Déjà, on prépare les vitrines pour les fêtes de fin d’année. Et il y aura de plus en plus de monde. Il y aura beaucoup de travail. Je n’aurai pas le temps de vous laisser me parler. Ensuite ? Après les fêtes, je serai importée en Chine. Vous ne ferez tout de même pas le voyage jusque là….. ».
Franck Unimon, à une date disparue. ( bientôt dans sa version audio).