Un ADN inchangé : argent, armes, police, France et banlieue
Premier constat : les thématiques centrales n’ont pas changé depuis NTM jusqu’à Fianso. On retrouve systématiquement les mêmes champs lexicaux :
- Argent : 35 mentions chez NTM, 77 chez Sefyu, 122 chez Kaaris, 67 chez Sofiane
- Armes : 9 occurrences pour NTM, 48 pour Sefyu, 175 pour Kaaris, 136 pour Sofiane
- Police : 13 pour NTM, 12 pour Sefyu, 17 pour Kaaris, 14 pour Sofiane
- France : 33 chez NTM, 97 chez Sefyu, 15 chez Kaaris, 37 chez Sofiane
- Banlieue : 12 chez NTM, 17 chez Sefyu, 2 chez Kaaris, 8 chez Sofiane
Ces récurrences s’expliquent par l’ADN du rap, hérité du Bronx, où le hip-hop s’est forgé dans les quartiers défavorisés comme art de la contestation face à l’État et à la police.
Un rap territorial et marqué par l’egotrip
Le rap du 93 reste profondément territorial.
- NTM cite massivement Paris (87 occurrences).
- Sefyu met en avant Aulnay-sous-Bois (42 mentions).
- Kaaris inscrit son discours dans Sevran (27 occurrences).
- Sofiane alterne entre Paris (30) et Alger (22).
En parallèle, les rappeurs rappellent sans cesse leur propre nom, une pratique typique de l’egotrip. On retrouve ainsi « NTM » (50), « Kool Shen » (23), « Joey Starr » (15), « Sefyu » (22), « Kaaris » (90) ou encore « Fianso » (86). Ces deux marqueurs — territoire et egotrip — témoignent d’un rap qui n’a jamais renié son essence identitaire.
Le basculement : du rap politisé à la violence brute
Si les thèmes restent constants, le discours, lui, s’est transformé.
Nous avons construit deux indices :
- Indice de violence : fréquence des insultes, menaces et termes guerriers.
- Indice de rébellion : critiques dirigées contre la France, l’État ou la police.
Leur évolution est révélatrice :
- NTM (années 90) : rébellion forte (125), violence contenue (134). Nombreux morceaux critiques envers la France (33 occurrences) et la police (13).
- Sefyu (années 2000) : rébellion encore plus élevée (152), violence accrue (486). Lexique guerrier marqué (« molotov », « crouille »), 97 mentions de « France ».
- Kaaris (années 2010) : explosion de la violence (1219), rébellion modérée (68). Saturation de termes liés aux armes (175 occurrences) et à l’argent (122), tandis que la critique sociale s’efface (15 mentions de « France »).
- Sofiane (2015–2020) : violence très forte (925), rébellion modérée (70). Vocabulaire axé sur la rue et l’intensité (« bang », « paw », « bandit »), avec quelques références à la France (37 occurrences).
Le rôle de l’évolution stylistique
Ce basculement est lié à l’évolution des styles musicaux. Dans les années 90, le rap était celui de paroliers, avec des textes construits et politisés (NTM, Sefyu). Avec l’arrivée de la trap et de la drill, dominantes depuis les années 2010, l’accent est mis sur l’impact immédiat et l’énergie brute. Les mots violents se multiplient, là où la critique sociale devient secondaire.
Une nouvelle strate identitaire : l’origine
Depuis les années 2010, une nouvelle dimension s’ajoute : la mise en avant des pays d’origine.
- Sofiane cite régulièrement l’Algérie et « Alger » (22 occurrences), revendiquant son identité franco-algérienne.
- Kaaris évoque la Côte d’Ivoire, rappelant ses racines africaines.
Là où NTM et Sefyu concentraient leur discours sur la contestation de la France, Kaaris et Sofiane inscrivent désormais le rap du 93 dans une perspective diasporique, reliant la banlieue parisienne à l’Afrique et au Maghreb.
Conclusion
En vingt ans, le rap du 93 a gardé son ADN fondateur : contestation, argent, armes, police, banlieue, territoire, egotrip. Mais son discours a changé : d’une parole collective et politisée (NTM, Sefyu), il est devenu une parole plus brute, violente et identitaire, où la critique de l’État est secondaire (Kaaris, Sofiane). Le rap du 93 est ainsi passé de la rébellion politique à une violence spectaculaire, tout en intégrant une nouvelle dimension diasporique.