En Rap, j’ai des cratères de lacunes. Je vois et j’entends parler de différentes cultures de Rap : elles sont si nombreuses qu’elles semblent venir d’une carrière mystérieuse. Bien-sûr, c’est tout simplement parce-que je ne suis pas à la page. Je devais faire mes courses chez Picard ou lire la notice de la machine à laver pendant toutes ces années où ces déclinaisons du Rap se sont développées. Et puis, il y a des tempéraments.
Il y a le Rap conscient. Hardcore. Et celui de la réclame. Il y a le Rap domestiqué par les maisons de disques. Celui où le mécano d’une crame hypnotique et funéraire prend les neurones des autres pour les prochaines étapes de sa chaine de vélo. Le Rap où l’on crâne et où, sans fin, on se retape les fesses et la carrosserie comme si on était dispensé de la moindre obligation sanitaire.
Multiple, récidiviste et mutant, le Rap est comme l’existant. Antidote aux cellules de formol dans lequel sont capturées bien des bouches et des présences privées, plusieurs fois par jour, de parole, d’électricité et d’oxygène, le Rap est le genre musical le plus écouté en France depuis des années. Ne pas l’écouter, ne pas l’avoir écouté, ne serait-ce qu’un tout petit peu, même en se cachant en sachet, c’est être marginal, retraité ou congelé.
Il y a quelques jours, écouter et voir des clips de Rap m’a remonté. Et, encore plus récemment, en quittant certains amis, je me suis dit que je vivais un certain dédoublement de personnalité car il m’était impossible de les imaginer écoutant ou dansant sur du Rap. Pourtant, j’écoute assez peu de Rap.
Pourtant, le Rap est l’équivalent du Blues. Du Maloya et du Gro-Ka. Le cousin de la techno. Il bouscule le Rock. Doit quelque chose au Funk, au Reggae, au Jazz et peut-être même au Gospel pour certaines têtes. Il est un dédale en furie et une musique dégénérée pour certains hémisphères cérébraux. Avec le sexe, la mort, la drogue, la folie, le fanatisme, la faim, l’amour, le désespoir, la pauvreté, le nucléaire et le napalm, il n’y a peut-être pas d’expérience plus extrême et plus personnelle que la musique qui est un échantillon de tout cela et qui, en quelques mesures, nous en fait le rappel. De ce que nous sommes sur terre, de nos combines pour continuer, de ce qui nous arrête, nous pousse et nous conditionne.
Ce qui fait du bien à notre corps en mercure sera du cyanure pour celle ou celui d’à côté. Iconoclaste ou icônes de clash, le Rap permet le grand écart. Mais contrairement à la musique classique, la grâce n’est pas ce qui est recherchée en premier. On entendra peut-être un jour une rappeuse ou un rappeur dérouler des entrechats avec une voix et une diction de kora. La grâce, c’est ce que l’on voit en premier chez celles et ceux qui sont au sommet et qui pourraient aussi tomber car ils n’auront pas su bien se défendre. Et, le Rap, c’est le moment de la revanche plutôt que de la défaite. Une revanche, c’est toujours bon à prendre. Je ne connais personne qui affirme :
« Moi, surtout, ce que j’adore avant tout dans la vie, c’est perdre ! ».
Le Rap peut être le voisin, le collègue, le conjoint, l’ami, l’enfant ou la police, qui, régulièrement, vient vous interrompre au plus mauvais moment pour vous. Et vous allez devoir vous y remettre. Réinstaller les syllabes. Digérer le souffle en six balles. Parcourir des séries de typhon l’horizon. Garder sa constance entre quatre sons.
« Papa, t’étais où ?! ». Au turbin, mon enfant. J’ai essayé de fuguer. De refuser la tapine. J’ai obtenu quelques victoires même si on ne m’a jamais donné de médaille et que l’on ne me verra jamais me faire homologuer sur grand écran ou à la télé. Mais j’ai attrapé la routine. Quand tu me regardes, si tu me regardes, fais en sorte, si tu peux, avant que l’artère de la dernière thune me confisque mon dernier souffle pour un énième défaut de paiement, de voir autre chose qu’un pansement en 3D et un adulte qui a échoué. Car ton regard sera ce qui restera de moi. Au fait, n’oublie jamais :
Le sanibroyeur du 2ème empêche de dormir au 1er et au 3ème.
Rappelle-toi aussi ce qu’a pu dire Tricky, autodidacte de la musique :
« Seule compte l’énergie ! ».