Je me trouvais du côté de la Gare du Nord. Je me suis dit que j’allais essayer de me procurer un numéro d’El Watan. Depuis que dans le 8ème arrondissement de Paris, j’ai croisé un journaliste d’El Watan, je me suis mis en tête de le lire. C’était avant d’interviewer le réalisateur Abdel Raouf Dafri dont j’ai déjà reparlé récemment. ( https://urbantrackz.fr/stayin/chronik/a-voir-absolument-la-norme-chez-letre-humain-cest-lextreme/ )
A entendre ce journaliste, il était facile de l’acheter dans un kiosque à journaux. C’était il y a plusieurs semaines. Toujours dans le 8 ème arrondissement, j’ai recroisé ce journaliste il y a quelques jours alors que je me rendais à la projection de presse du film Brooklyn Secret. ( https://urbantrackz.fr/videotape/cinema/brooklyn-secret-entre-trahison-et-rejet/ ) Mais avant que je puisse lui exposer mes difficultés pour trouver à la vente ce journal qui le rémunérait, il avait disparu.
Dans un point presse bien pourvu du 13ème arrondissement où on ne le vend plus depuis une dizaine d’années, on m’avait suggéré que j’avais mes chances à Barbès. C’est là que des anciens clients de ce point presse se rendraient désormais pour acheter El Watan.
Je me suis imaginé que j’avais mes chances à la Gare du Nord. Puisque c’est proche de Barbès. Je me suis trompé. A la place, le vendeur a fait de l’humour. El Watan ? L’Algérie ? J’ai commencé moi aussi à faire de l’humour :
« Vous savez que l’Algérie existe ? ». Il m’a répondu sans détour :
« Je sais que l’armée existe…je suis algérien ».
Il m’a confirmé qu’il était probable que El Watan soit en vente à Barbès. Mais je ne me voyais pas aller jusqu’à Barbès. Je me suis contenté du New York Time et de El Pais.
Par paresse, je lis très peu de presse étrangère. C’est un tort. C’est un tort de se contenter du minimum de ce que l’on sait et de ce que l’on a pu apprendre ou commencé à apprendre à l’école ou ailleurs. De rester dans son confort. C’est comme ça qu’ensuite, avec l’habitude, le quotidien, notre regard sur nous-mêmes et sur notre environnement se rétrécit et qu’après on pleure sur soi-même parce-que notre vie est pourrie. Qu’il ne s’y passe jamais rien ou pas suffisamment selon nous.
Mais, là, j’ai acheté The New York Times et El Pais. Même si je savais que je les lirais très partiellement, cela me permettrait déjà de partir ailleurs.
J’ai plus feuilleté le New York Times car mon manque de pratique de l’Espagnol m’handicapait avec El Pais.
Dans le train du retour, je me suis assis à quelques mètres d’un SDF bouffi par l’alcool que je connais de vue. Je crois qu’il réside dans ma ville. Une dame venait de lui donner de l’argent. Mais dès qu’il m’a aperçu près de lui, il m’a sollicité et en a redemandé. A défaut d’argent, il m’a d’abord demandé l’heure car il ne pouvait pas voir. Puis, il a fini par me demander de lui donner un journal. Pour lire. Pour s’informer. Il avait manifestement envie de parler à quelqu’un. Lorsque je lui ai dit que les journaux étaient en Anglais et en Espagnol, il a renoncé. Par contre, lorsque quelques minutes plus tard, un autre homme est venu faire la manche dans le même wagon en passant parmi les voyageurs, il l’a aussitôt menacé et lui a dit de se casser. L’autre homme a poursuivi son œuvre avec le sourire.
Ce matin, je suis passé à la pharmacie. Je savais que je n’y trouverais pas El Watan. Aussi me suis-je abstenu de le demander. J’étais là pour acheter une lotion capillaire pour ma compagne. J’ai déjà fait « pire » :
Je devais avoir à peine une vingtaine d’années lorsque ma mère m’avait demandé de lui acheter une paire de collants. Cela ne m’avait pas dérangé. Depuis le temps que ma mère m’envoyait faire des courses. J’étais ressorti du supermarché et, dans les rues de Pointe-à-Pitre, j’avais rapidement compris que certaines personnes qui m’avaient croisé avaient des yeux de drones leur permettant de voir parfaitement à travers le sac en plastique transparent que je portais en toute décontraction.
Ce matin, pas de collant parmi mes achats. J’étais à la caisse quand j’ai entendu un homme plus jeune que moi demander à une autre caisse un masque FFP2. J’ai aussitôt fait le rapprochement avec le coronavirus bien que, sans cet homme, j’aurais été incapable de savoir le définir de cette façon.
Devant moi, le pharmacien qui me servait m’a répondu qu’il allait voir s’il en restait. Il m’a d’abord dit qu’un masque coûtait 2,99 euros, l’unité. Puis, revenant avec trois masques, il m’a présenté ses excuses : un masque coûtait 3,99 euros. Je les ai néanmoins pris tous les trois.
Le pharmacien m’a confirmé que, oui, c’était bien les masques préventifs pour le coronavirus. Il m’a dit qu’il espérait que cela allait s’arranger. Il m’a répondu qu’ils n’en n’avaient pas toujours mais qu’il y avait en ce moment une certaine demande surtout des touristes. Il se trouve que les seuls touristes « reconnaissables » que j’ai pu voir dans cette pharmacie parisienne sont asiatiques. Peut-être chinois. Peut-être japonais.
Jusqu’à maintenant, j’ai entendu parler du coronavirus sans m’en inquiéter plus que ça. Mais, ce matin, je me suis dit que cela pouvait être bien de « s’équiper ». En sachant que, selon les dires de ce pharmacien un masque a une durée d’efficacité de 8 heures. Il serait donc convenable si l’épidémie du coronavirus arrive en France qu’elle soit très rapide. Ou d’avoir de quoi acheter un nombre plutôt conséquent de masques. Mais je me suis dit ça après avoir quitté la pharmacie et après avoir payé les trois masques. Parce qu’en reprenant le métro, j’ai pris le temps de lire le journal gratuit distribué devant la pharmacie. J’ai jeté ce journal depuis. Mais je me souviens qu’après un match laborieux, le PSG, hier, a battu Bordeaux 4-3 au parc des Princes. Que El Matador « Cavani » a marqué son 200ème but avec le PSG toutes compétitions confondues. Que Neymar a trouvé le moyen d’écoper d’un second carton jaune et de se faire exclure. Il sera donc absent pour le prochain match face à Dijon. Qu’au début du match, des supporters avaient montré une pancarte demandant à M’bappé, Neymar et Marquinhos de « porter leurs couilles ».
A part ça, l’équipe de France de Rugby, en battant le Pays de Galles, confirmait qu’elle était une très belle équipe. Et puis, tout au début du journal, le coronavirus en Italie. L’inquiétude en Europe. Deux morts.
En rentrant, j’ai regardé à nouveau Le New York Times et El Pais. Hier, dans Le New York Times, j’avais pris le temps de lire l’article consacré à l’acteur, scénariste et réalisateur américain Ben Affleck qui parlait de son addiction à l’alcool. Au fait que son propre père était devenu sobre alors qu’il avait 19 ans. L’alcoolisme de son frère Casey, que l’on n’a plus vu depuis quelques temps sur les écrans, était aussi mentionné.
C’est sur El Pais que j’ai vu l’article dont s’est sans doute inspiré le journal gratuit d’aujourd’hui concernant le coronavirus. Entre-temps, les près de 4 euros par masque avaient commencé à me peser. Lorsque j’en ai discuté avec ma compagne, j’ai été obligé de me rendre compte que je m’étais fait arnaquer. Comme d’autres. Près de 4 euros pour un masque qui ressemble à un petit slip jetable pour bébé et dont le coût à la fabrication doit se compter en centimes et peut-être même en micro-centimes. Pour un slip jetable qui est peut-être fabriqué en Chine, ce qui serait comique en plus.
L’anxiété et l’esprit de prévention avaient encore frappé. Lorsque ce n’est pas sous forme de pub sur le net, dans la boite à lettres, à la télé, au cinéma, sur le téléphone portable, sur la tablette, dans la rue et dans les transports en commun, ou à la banque, c’est sous forme de terrorisme, d’extrémisme politique, de catastrophe, de meurtres ou d’épidémie sanitaire qu’ils s’infiltrent. Avant que le moindre virus ait eu le temps de visiter nos poumons, nous sommes déjà contaminés par l’ anxiété et l’achat de prévention qui sont une forme de crachat civil réservé à ces êtres civilisés et socialisés que nous sommes. Jusqu’à ce qu’une rupture de stock apparaisse…
Mais je crois encore que je réussirai à me rendre à Barbès afin d’y trouver El Watan avant que le coronavirus ne trouve l’adresse de mon organisme.