Tuesday, December 3, 2024

La Route du Tiep

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ZEZ
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C.E.O HELL SINKY, author, journalist, documentary

  

Qu’est-ce qu’un igname ?

«  Qu’est-ce qu’un igname ? ». Lors d’un atelier d’écriture, un homme d’une soixantaine d’années m’avait un jour posé cette question. On découvre aussi le monde par ses légumes, ses plantes et sa cuisine.

J’avais bien sûr expliqué ce qu’est un igname.  Bien que né en  France, mon éducation et mes vacances familiales en Guadeloupe m’avaient fait connaître le zouk, le kompa, l’igname, le fruit à pain (et non le fruit à peines), le piment, les donbrés et d’autres spécialités culinaires antillaises.

De gauche à droite, Georges Décimus ( basse, composition), Jacob Desvarieux ( Guitare, chant, composition), Jocelyne Béroard ( chant, composition), trois des membres du groupe Kassav’ en clôture de la fête de l’Humanité de 2019.

Au premier plan, à gauche, Jean-Philippe Marthély à gauche ( chant, composition) et Jean-Claude Naimro ( chant, claviers, composition), deux autres des membres de Kassav’, en clôture de la fête de l’Humanité 2019.

Je dois à mon amie Béa, d’origine martiniquaise, de quelques années mon aînée, d’avoir découvert le Tiep ( «  riz au poisson »), les pastels et le M’Balax. J’avais 21 ou 22 ans. Olivier de Kersauson, le navigateur, avait 23 ou 24 ans lorsqu’il a fait la rencontre d’Eric Tabarly (son livre Le Monde comme il me parle, dont j’ai débuté la lecture). Moi, à 23 ou 24 ans, j’entrais davantage de plain pied dans la fonderie des hôpitaux. J’avais fait la connaissance de Béa pendant ma formation.

Elle était déja en couple avec C… un Cap verdien, de plusieurs années son aîné.

Et c’est au cours d’une grande fête avec eux, dans le Val D’oise, je crois, du côté de Jouy le Moutier, que j’avais découvert :

 Tiep, pastels et M’Balax.

Le Tiep n’est pas le nom d’un vent ou d’un microclimat proche de la ville de Dieppe. Il n’a pas de lien de parenté avec la pitié. Et il n’a pas été recensé sur le continent  du Tchip que les Antilles se partagent très bien avec l’Afrique. Le Tiep ou Thiéboudiene  est le plat national du Sénégal.

Avec Béa, indirectement, moi qui ne suis, à ce jour, toujours pas allé en Afrique, j’ai découvert des bouts du Sénégal. Du Wolof et du Cap Vert. Avant que Césaria Evora ne (re) devienne populaire et que le chanteur Stromaé, beaucoup plus tard, n’en parle dans une de ses chansons. Avant que Youssou N’Dour ne lâche son tube 7 seconds avec Neneh Cherry. Hit que j’ai toujours eu beaucoup de mal à supporter. Si éloigné de son M’Balax que j’ai, finalement, pu voir, aimer et écouter sur scène trente ans plus tard : l’année dernière à la (dernière ?) fête de l’Huma.

Youssou N’Dour à la fête de l’Huma en 2019.

Par hasard

J’ai retrouvé la route du Tiep il y a quelques mois. Par hasard. J’avais rendez-vous près de la gare du Val de Fontenay pour acheter une lampe de poche. Entre le moment où j’ai découvert le Tiep et les pastels et cette transaction, il s’est passé environ trente ans. J’avais bien-sûr mangé à nouveau du Tiep entre-temps. Mais cela était occasionnel. En me rendant sur certains marchés.

Le Val de Fontenay n’est pas mon coin. Je n’y habite pas. J’y étais allé à une « époque », ou, durant une année, j’y avais été…entraîneur de basket. Mais je parlerai de cette expérience dans un autre article. Ce matin, je m’applique à me mettre au régime :

Pour faire court

J’essaie de faire des phrases courtes. Et d’écrire un article court. C’est Yoast qui l’affirme : Certaines de mes phrases durent plus de vingt mois. Je sais que c’est vrai.

Mes articles manquent de titres. Si je décode bien Yoast, je fais beaucoup de victimes parmi mes lectrices et lecteurs. Et je pourrais mieux faire. Je n’écoute pas toujours Yoast.

En revenant de ma « transaction », il y a quelques mois, je suis donc retourné à la gare du Val de Fontenay. Et j’ai oublié si j’avais aperçu ce traiteur à l’aller mais je m’y suis pointé avant de reprendre le RER. J’y suis retourné plusieurs fois depuis. Ainsi que ce week-end puisque nous avions prévu de faire un repas au travail.

Au Thiep Délices D’Afrique Keur Baye Niass

La nouveauté, c’est que je suis allé deux jours de suite au Thiep Délices D’Afrique Keur Baye Niass. Le vendredi, c’est jour du Tiep au poisson. Les autres jours, on y trouve, entre-autres, du Tiep à la viande qui me plait bien. Mais je voulais goûter son Tiep au poisson. J’ai donc appelé suffisamment tôt pour passer commande. Puis, une fois, sur place, j’ai vu qu’il ne restait plus de pastels. La cuisinière m’a confirmé qu’il n’y en n’avait plus. ça m’a frustré mais c’était de ma faute. J’aurais dû en commander en même temps que le Tiep. Donc, le lendemain, j’ai rappelé assez tôt et j’ai commandé des pastels au poisson. Et quelques uns à la viande. Pour goûter.

Avec nos masques sur le visage : de cœur à coeur

Avec nos masques sur le visage, nous sommes encore plus indistincts que « d’habitude ». C’est peut-être aussi pour cette raison que j’ai tenu à donner mon prénom, la veille. Puis que, lorsque j’y suis retourné que j’ai fait ce que je fais quelques fois : parler avec les gens. Leur demander de me parler d’eux. Un peu de cœur à cœur. Je fais ça avec les personnes avec lesquelles je me sens bien. Avec lesquelles je ne discute pas du prix de ce qu’elles me vendent. On pourrait dire que cette dame, qui me dépasse d’une bonne dizaine de centimètres, et qui a sans doute presque de l’âge de ma mère, est peut-être un équivalent maternel pour moi. Mais je ne crois pas que ce soit la seule raison.

Un mal pour un bien 

J’avais déjà appris, qu’auparavant, elle travaillait avec ses collègues du côté de Créteil. Mais qu’elle avait dû quitter les lieux que la RATP avait mis à sa disposition. J’ai appris qu’avant de faire la cuisine, elle faisait dans le prêt- à- porter. Elle avait trouvé des fournisseurs en Italie et ça avait marché très vite. «  Je vendais de la bonne came ! ». me dit-elle sans qu’il soit question de quoique ce soit d’autre que de prêt-  à- porter. J’avais déjà entendu parler de la qualité italienne en matière de vêtements et de chaussures.

Le prêt à porter a été fructueux de 2004 jusqu’à environ 2015. Et puis, la concurrence chinoise…. 

« Les gens regardaient plus leur porte-monnaie….mais la qualité n’était pas du tout la même… ». Elle a alors dû rendre ses locaux à la RATP. Locaux dans lesquels elle avait effectué des travaux. Travaux pour lesquels la RATP ne l’a jamais dédommagée. A la place, la RATP a fini par lui proposer cet endroit à la gare du Val de Fontenay où c’est « dix fois mieux » m’explique-t’elle :

« Il y a plus de passage. Avec les bureaux. Et on est près de la gare. Là, il y a le RER A. Il y a le RER E».

Prendre la vie par le bon bout

En l’écoutant, je prends à nouveau la mesure du fait que, quelles que soient les circonstances et le contexte qui nous préoccupent, qu’il y a des personnes comme cette dame et ses collègues qui travaillent. Et qui prennent la vie par le bon bout.  La cuisine, elle en avait toujours fait. Et après le prêt- à- porter, l’idée lui est donc venue rapidement. Je ne connais pas son niveau d’études. Et je présume qu’elle est née au Sénégal et y a vécu sûrement ses vingt premières années. Comme mes propres parents ont vécu leurs vingt premières années sur leur île natale, la Guadeloupe.

Je n’ai pas insisté pour savoir, comment, venant du Sénégal et de la France, on fait pour trouver des fournisseurs de prêt- à -porter en Italie. Mais cela implique au moins de quitter son quartier. De passer la frontière. D’avoir un réseau de connaissances. Ou de savoir aller rencontrer des gens, y compris à l’étranger. De les démarcher et de leur inspirer confiance. De savoir s’exprimer un minimum dans leur langue. D’être fiable dans son travail. Ce qui est facilité lorsque l’on  aime le faire ( son travail).

“L’argent n’est souvent qu’une conséquence”

J’ai relevé ces phrases  dans un livre emprunté récemment dans la médiathèque de ma ville, à Argenteuil. Un ouvrage dont j’ai lu, pour l’instant, les dernières pages et que je chroniquerai peut-être.

Changer de vie professionnelle ( C’est possible en milieu de carrière) de Mireille Garolla, aux éditions Eyrolles. Les propos sont les suivants, en bas de la page 147 :

« Ce n’est pas parce-que vous allez faire quelque chose qui vous plaît que vous n’arriverez pas à en tirer un bénéfice.

L’équation n’est pas toujours aussi simpliste que : je rentre dans un système capitaliste, donc, je gagne de l’argent, quitte à souffrir tous les jours jusqu’à l’âge de la retraite, et un autre système qui consisterait à faire des choses qui vous plaisent réellement mais qui ne devraient donner lieu qu’à des rémunérations symboliques.

(……) l’argent n’est souvent qu’une conséquence du fait que vous faites quelque chose qui vous plaît et que vous le faites correctement ».

Cette femme et ses collègues font partie des personnes qui rendent ces phrases concrètes. De 11h à 22h tous les jours de la semaine.

Je me suis senti tenu de lui parler un peu de moi. C’était un minimum. Le métier que je faisais. Dans quelle ville j’habitais. Elle m’a écouté avec attention. 

Il y a un stade où ce n’est plus l’argent qui fait le monde 

Alors que je restais discuter avec elle, pendant que son collègue préparait mes plats, j’ai commandé quelques pastels supplémentaires. Vu, que cette fois, il en restait quelques uns. J’ai aussi commandé deux canettes de jus. Il s’agissait, aussi, d’en rapporter un peu à la maison. Elle m’a fait cadeau des deux canettes comme des pastels supplémentaires. Evidemment, je les aurais payés sans négocier.

Après avoir payé, j’étais sur le départ lorsqu’ouvrant le réfrigérateur, elle m’a tendu une petite bouteille en plastique de jus de gingembre. Il y a un stade de la relation dans la vie, où même entre inconnus, ce n’est plus l’argent qui fait le monde. L’argent (re)devient un masque ou un accessoire. Et il vaut alors beaucoup moins que ce qu’une personne nous donne volontairement. 

Ce soir-là, sur la route du Tiep

Lorsqu’elle m’a fait cadeau de ces pastels et de ces deux canettes, je n’ai pas vu une commerçante habile qui tient à fidéliser un client qui lui était sympathique. Même s’il faut aussi, lorsque l’on tient un commerce, mais aussi quand on tient à une relation, savoir chouchouter celles et ceux que l’on veut garder. Et je ne doute pas qu’elle sait très bien faire ça. 

Mais ce que j’ai surtout vu, c’est une personne qui « sait » que l’on se parle et que l’on se voit maintenant, mais que l’on ne sait pas lorsque l’on se reverra. 

Et si l’on se reverra.

Alors, avant de se séparer, on “arme” comme on peut celle ou celui que l’on a croisé pour la suite du trajet. 

Certaines personnes font des enfants pour conjurer ça. Mais, moi, ce soir-là et sur la route du Tiep qui m’avait ramené à nouveau jusqu’à elle, et pendant quelques minutes,  j’ai été, un peu, sans doute, un de ses enfants. 

C’était ce week-end.

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