Pour la première fois en 1983, après les événements du bal des Minguettes et la marche pour l’égalité et contre le racisme, la France découvre le visage des descendants d’immigrés. Douze ans plus tard, Mathieu Kassovitz frappe fort avec La Haine, un film devenu incontournable. L’hommage est total : après quelques tentatives, comme Le thé au harem d’Archimède, le réalisateur français est le premier à offrir un visage à la rébellion qui gronde dans les quartiers français, suite à une bavure policière. Le film se présente comme une tragédie inévitable, culminant dans un final cruel, où une bavure génère une injustice destructrice. Kassovitz obtient le prix de la mise en scène à Cannes, tandis que le drame d’Emir Kusturica, Palme d’Or, raconte l’histoire d’un homme enfermant une communauté dans les égouts pendant la Seconde Guerre mondiale, leur faisant croire que la guerre n’est pas terminée pour les contraindre à fabriquer des armes. À l’opposé, La Haine de Kassovitz dépeint la tension croissante entre les forces de l’ordre et les quartiers français, une tension ignorée par beaucoup, parfois résolue dans une violence dévastatrice, semant des victimes des deux côtés.
Kassovitz a ses “enfants” au cinéma. Parmi eux, Ladj Ly, qui signe un remake des Misérables de Victor Hugo, dans le même lieu, à Montfermeil, deux siècles plus tard, sans que rien n’ait changé. On pense aussi à Romain Gavras, membre du collectif Kourtrajmé, qui réalise une “tragédie grecque” moderne sur ce même thème.
Il y a quelques mois, Kassovitz a lancé une comédie musicale intitulée La Haine, accompagnée d’une bande originale exceptionnelle, réunissant des artistes majeurs tels que Benjamine Eps, Médine, Youssoupha, Akhenaton et Oxmo Puccino. Ces artistes, entre la jeune et la vieille garde, sont des paroliers brillants, incarnant une culture hip-hop portée au sommet par la nouvelle génération, mais aussi rongée par les exigences du marché, comme tout produit de consommation de masse. Et comme dans bien d’autres domaines, l’exception culturelle, qui nourrissait les paroles poétiques et intelligentes du rap français, héritier de la “Chanson Française”, se perd peu à peu dans l’influence croissante du hip-hop américain, avec sa trap, sa drill et sa cloud.
Le visuel de L’4mour, de Médine, réalisé par Mathieu Kassovitz lui-même, vient d’être dévoilé. Le choix de Médine n’est pas anodin. L’homme, “avec une polémique par mois, mais qui reste jovial” (“Kyll” – Booba feat Médine), est souvent mal compris, caricaturé comme le rappeur “islamisé” par l’extrême droite, en raison de la méconnaissance de son œuvre.
Médine : “Une polémique par mois, mais je reste jovial !”
Médine a été au cœur des débats de l’identité nationale française à plusieurs reprises. Sa première polémique, sans doute la plus absurde, intervient lorsqu’il écrit La saga des enfants du destin, une série d’épisodes où il endosse la peau de personnages victimes de grands mouvements historiques. De Kunta Kinté à la révolte des “Kannaks”, en passant par le conflit israélo-palestinien ou encore le Vietnam, il se fait le porte-voix de rébellions et de tragédies. Cependant, certains journalistes ont extrait ses paroles sans saisir le concept de cette saga, interprétant ses lyrics de manière erronée et en tirant des conclusions hâtives.
Avec son album Don’t Laïk, un manifeste contre la laïcité brutale, Médine devient progressivement la cible privilégiée de chroniqueurs d’extrême droite, voire de droite. Même la Fête de l’Humanité a eu du mal à l’accueillir sans provoquer un tollé. Lorsque le rappeur tente de se produire au Bataclan, un scandale éclate. Médine est une personnalité clivante, mais il faut se rappeler que, tout comme les chroniqueurs n’hésitent pas à soulever des questions identitaires controversées, il est dans son droit de répondre à ces attaques, tant qu’il respecte les limites de la liberté d’expression. En somme, il n’y aurait pas de Médine sans Éric Zemmour, et ce débat, parfois rugueux, est au cœur de la démocratie.
Au milieu des feux, Médine chante L’4mour !
La composition de ce titre, à la fois classique et moderne, a été confiée à Proof et Deymon Beats. Depuis son studio du Havre, Proof est une légende vivante, à l’origine du label Din Records, l’un des plus engagés de France depuis les années 90. Il a également signé des classiques tels que Grand Paris de Médine et des titres incontournables pour Diam’s et Kery James. Quant à Deymon Beats, il a collaboré avec des artistes comme Sofiane et Keny Arkana, créant des titres à la portée légendaire.
Dans l’esprit de Médine, L’4mour est un hymne à la révolte pacifique. Si, par le passé, certains rappeurs avaient vigoureusement combattu le racisme, leur message avait été mal compris et jugé trop violent. Ici, Médine choisit un ton différent, celui de l’apaisement sans renoncer à la révolte. À la manière de Malcolm X, qui a su unir sans jamais se courber devant l’oppression, Médine avance, avec détermination, mais sans attiser les flammes.
Son talent lyrique de storyteller se révèle dans des textes où la rébellion est inscrite en lettres d’or :
“On rend l’pays féérique avec les centres de Demba
Quand on fait la une de L’Équipe, on est des fiertés nationales
Mais, dans les contrôles de routine, on est des ramasseurs de balles.”
“Tant qu’on aura des nœuds au ventre quand on voit l’origine du coupable
Tant qu’on étalera le casier d’un cadavre encore chaud
Tant qu’on n’arrêtera pas de voir comme un spectacle les talkshows
Tant qu’il y aura des mères qui ferment le couvercle du cercueil.”
“On chanterait presque La Marseillaise avec Jul, avec IAM
Le bruit des kops des supporters, ça étouffe toutes les Kalach’
On aime la Garde républicaine quand elle chante avec Aya
On hait les gardiens de la paix quand ils shootent les Kanaks
Quand ils compressent les thorax de Cédric et d’Adama.”
Mathieu Kassovitz réalise la suite de La Haine !
Le visuel, réalisé par Mathieu Kassovitz lui-même, débute par une reprise fidèle à la fin de La Haine, où Vinz, incarné par Vincent Cassel, trouve la mort dans un tir perdu. Puis, Médine émerge de l’ombre pour délivrer son discours dans un théâtre rempli, aux côtés de personnalités comme le Prince Parolier Youssoupha, que vous reconnaîtrez sûrement.
Dans une salle où se mêlent solennité et nuances de noir et blanc, à l’image du film de Kassovitz, Médine prononce un discours magistral sur les violences sociales, médiatiques et policières, alors que la France peine à trouver un Premier ministre capable de gouverner un pays où l’unité semble de plus en plus improbable.